Le cas de ce chômeur et handicapé de 42 ans n'est qu'une affaire parmi des dizaines lancées ces dernières années par la justice russe pour ce que beaucoup considèrent comme des blagues inoffensives sur internet.
Les militants de l'opposition dénoncent pour leur part une volonté consciente du Kremlin pour forcer les Russes à y réfléchir à deux fois avant d'afficher leur opinion sur les réseaux, l'un des derniers espaces où jusqu'alors les critiques des autorités n'étaient pas sévèrement réprimées.
"Pour une blague inoffensive, n'importe qui qui n'est pas d'accord avec les autorités de notre pays peut être inquiété", résume auprès de l'AFP l'avocat d'Edouard Nikitine, Maxime Kamakine. "Il semble que dans notre pays, seuls les optimistes ont le droit d'exister".
"Absurde"
Dans l'une des deux publications reprochées à Edouard Nikitine sur les réseaux sociaux, un père explique en des termes crus à son fils que rien ne va s'arranger en Russie.
L'autre publication est un dessin représentant un "vatnik", terme qui désigne à l'origine un vêtement porté lors de la période soviétique et qui est utilisé comme insulte envers des personnes considérées comme soutenant aveuglément les autorités.
L'affaire "absurde" montée contre Edouard Nikitine, toujours en cours, a déjà abouti au gel de ses comptes bancaires, à la confiscation temporaire de son ordinateur, et l'empêche de prendre part à toute activité de l'opposition, selon son avocat.
Accusé d'"incitation à la haine" et d'"atteinte à la dignité humaine", le Russe encourt selon la loi jusqu'à six ans de prison, bien que la plupart des affaires se terminent avec des peines plus légères, amende ou travail d'intérêt général.
Si les poursuites dans ce genre d'affaires ne sont pas nouvelles en Russie, plusieurs cas très médiatisés ont attiré l'attention sur ce phénomène.
"Jon Snow est ressuscité!"
A Barnaoul, en Sibérie, des poursuites ont été lancées contre Daniil Markine, un étudiant de 19 ans qui avait partagé sur internet des "memes" humoristiques, dont une image du personnage de Jon Snow, l'un des héros de la série "Game of Thrones".
Sous l'image du personnage figure l'inscription "Jon Snow est ressuscité! -- En vérité, il est ressuscité!", une parodie de la formule prononcée par les croyants lors de la Pâques orthodoxe, pour laquelle le jeune homme est poursuivi pour "incitation à la haine religieuse".
Maria Motouznaïa, une autre habitante de Barnaoul de 23 ans, est, elle, poursuivie pour "extrémisme" pour des images sauvegardées sur sa page sur le réseau social russe Vkontakte, très populaire.
L'une d'elle représente des enfants africains tenant des bols vides et porte l'inscription: "L'humour noir, c'est comme la nourriture, tout le monde n'en a pas toujours".
"Trop souvent, les actions des forces de l'ordre ne correspondent clairement pas à la menace potentielle et leur réaction à des publications ou à des memes sont trop dures et sans aucun fondement", s'est inquiété en août Mail.ru, le propriétaire du réseau Vkontakte.
La société, propriété de l'oligarque Alicher Ousmanov, plaide ainsi pour une modification de la loi et pour une "amnistie" de "ceux qui ont été injustement condamnés dans ces affaires".
Selon l'organisation indépendante Agora, 43 personnes ont été condamnées pour des publications sur internet en Russie en 2017, contre 32 l'année précédente.
"Perdu les pédales"
Si le ministère russe des Télécommunications s'est déclaré en faveur d'un assouplissement, aucun projet n'est actuellement à l'étude.
"L'idée principale derrière cette politique est de créer la peur parmi les internautes. Le but est de leur donner l'impression que les autorités observent chaque utilisateur", estime Sarkis Darbinian, avocat spécialisé dans les réseaux.
"Beaucoup d'internautes ont d'ores et déjà peur de partager leurs propres opinions. Ils s'autocensurent et effacent ce qu'ils partageaient autrefois. Cela réduit le niveau de liberté d'expression en Russie", souligne-t-il.
Dmitri, un internaute de 21 ans originaire de Ekaterinbourg dans l'Oural, fait partie de ceux qui ont changé leur comportement, en supprimant notamment ses anciennes publications.
"Maintenant, il y a une peur véritable: l'Etat a perdu les pédales et vous pouvez être arrêté pour avoir +liké+ quelque chose", explique l'internaute à l'AFP. "Je ne veux rien avoir à faire avec ça. Je veux être en sécurité".
Avec AFP