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Les ambulanciers sud-africains au bord de l'asphyxie


Une ambulance est désinfectée au Christiaan Barnard Memorial Hospital à Cape Town, Afrique du Sud, le 10 juillet 2020.
Une ambulance est désinfectée au Christiaan Barnard Memorial Hospital à Cape Town, Afrique du Sud, le 10 juillet 2020.

"Mes gars sont complètement cassés. Ils doivent enlever les morts des lits pour faire de la place pour les nouveaux patients"

"C'est horrible", confie un ambulancier sud-africain, Eugene Muller. "Mes gars sont complètement cassés (...). Ils doivent enlever les morts des lits pour faire de la place pour les nouveaux patients" atteints du Covid-19 qu'ils amènent.

"Jamais de toute ma carrière, je n'ai eu à déplacer des corps simplement pour libérer des lits", soupire Eugene Muller, décrivant des hôpitaux publics à l'agonie.

L'Afrique du Sud est le pays du continent africain le plus touché par la pandémie de Covid-19, avec plus de 300.000 cas dont 4.453 mortels.

Dans la province sud-africaine du Cap-Oriental (sud), l'un des épicentres de la pandémie dans le pays, "les hôpitaux n'ont même pas de place pour accepter les malades gravement atteints", s'indigne Eugene Muller, qui travaille à Port Elizabeth, l'une des principales villes de la région.

Les hôpitaux de Port Elizabeth, sous-équipés à cause notamment d'une corruption généralisée pendant la présidence de Jacob Zuma (2009-2018), sont "débordés" par la pandémie, selon le personnel médical.

Ils "sont en sous-effectif", ajoute Eugene Muller, chargé de la flotte des ambulances chez Gardmed, principal ambulancier privé de Port Elizabeth.

En vingt ans de carrière, il n'a jamais vu les hôpitaux publics en "si mauvais état".

Quand les établissements ne peuvent pas accueillir les patients, "on les assoie dans les ambulances" en attendant leur prise en charge, poursuit Dave Gardner, à la tête de Gardmed.

L'attente peut s'éterniser jusqu'à quatre heures. "A quelques reprises, le patient a dit: +Non, ramenez-moi chez moi", raconte-t-il.

- Corps entassés -

Thsonono Buyeye, maire intérimaire de Port Elizabeth, la capitale sud-africaine de l'industrie automobile, reconnaît que les hôpitaux de la ville "manquent de lits".

"On essaie de faire de notre mieux", assure-t-il à l'AFP, soulignant qu'un hôpital de campagne de 1.500 lits, construit à la hâte par le fabricant automobile allemand Volkswagen, accueille "un très faible nombre de patients".

Mais la réalité est qu'"il n'y a pas assez de personnel pour le faire fonctionner", explique Eugene Muller, qui décrit des corps "entassés" sur le sol dans les deux hôpitaux de la ville spécialisés dans l'accueil des patients du Covid-19.

"Le public n'est pas informé et ne voit pas ce qui se passe ici", souligne-t-il.

Et pour cause: les proches des patients du Covid-19 et les médias n'ont pas accès aux hôpitaux, officiellement pour des raisons sanitaires afin d'éviter de nouvelles contaminations.

Au centre d'appels de Gardmed, la sonnerie des téléphones retentit en permanence. Au bout du fil, souvent des patients désespérés à bout de souffle.

Les yeux épuisés après une nuit de travail, Jeanine Jackson, une ambulancière de 35 ans, raconte sa macabre découverte deux jours plus tôt: trois patients décédés après avoir appelé pour des problèmes respiratoires.

"D'habitude, le temps d'arriver, on peut au moins les aider avec un respirateur artificiel. Mais maintenant, quand on arrive, la personne est déjà décédée", se désespère-t-elle, s'inquiétant des patients qui semblent stables et qui brusquement se retrouvent en détresse respiratoire.

Les morgues ont elles aussi du mal à faire face à l'afflux de corps.

Elles étaient "pleines" la semaine dernière dans les hôpitaux publics de Port Elizabeth, reconnaît un porte-parole du ministère provincial de la Santé, Siyanda Manana. Le problème est désormais résolu, assure-t-il.

Dave Gardner, préoccupé par la santé mentale de son personnel, s'inquiète aussi des conséquences financières de la crise sanitaire pour son entreprise.

Gardmed ne peut facturer les assurances maladie que si les hôpitaux prennent en charge les patients dans les quinze minutes après leur arrivée dans l'établissement.

Un délai impossible à respecter en ces temps de crise sanitaire. Du coup, la plupart des déplacements des ambulances se font à perte.

"Je ne pense pas qu'on puisse tenir encore trois mois", estime Dave Gardner.

Avec une vingtaine de véhicules, sa société possède environ la moitié du parc privé d'ambulances de Port Elizabeth. La province elle ne dispose que de deux ambulances et de deux bus pour les patients atteints du Covid-19.

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