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En Ethiopie, les tensions ethniques nourrissent la misère


Lors d'une crise humanitaire au sud de Addis-Abeba, le 11 novembre 2009.
Lors d'une crise humanitaire au sud de Addis-Abeba, le 11 novembre 2009.

Il y a plus d'un an que sa maison a été rasée, sa plantation de café détruite et son bétail volé par des membres de la communauté oromo dans le sud de l’Ethiopie, mais Teketel Memheru, un Gedeo, a toujours trop peur pour rentrer chez lui.

Cet homme de 22 ans qui a fui la région Oromo et s'est réfugié à Cherqo (sud), dans le district Gedeo, est l'un des centaines de milliers d’Éthiopiens forcés à fuir leurs foyers en raison d'affrontements ethniques au cœur d'une crise aux proportions de plus en plus inquiétantes.

"J'ai vu un de mes voisins tué à coups de couteau, et un autre brûlé vif dans sa maison", dit-il en tremblant au moment de raconter l'attaque de son village début 2018, menée selon lui par des Oromo, l'ethnie la plus importante du pays. " J'ai peur de rentrer cultiver mes terres, j'ai peur des attaques".

Les autorités assurent avoir sous contrôle ce qui est devenu en 2018 la pire crise de déplacés internes au monde et soutiennent que plus d'un million de déplacés ont regagné leurs foyers.

Une femme reçoit une aide en tant que de déplacés internes le 20 mai 2019 dans le village de Cherqo, dans le sud de l'Éthiopie.
Une femme reçoit une aide en tant que de déplacés internes le 20 mai 2019 dans le village de Cherqo, dans le sud de l'Éthiopie.

Mais les humanitaires sont formels: les personnes déplacées sont renvoyées chez elles contre leur gré, tandis que la situation humanitaire, déjà difficile, ne fait qu'empirer.

"La paix n'a pas été rétablie, et je n'ai rencontré aucune personne qui souhaite rentrer (chez elle) dans ces conditions. Les gens ont peur", raconte à l'AFP un travailleur humanitaire sous couvert de l'anonymat par peur de représailles des autorités.

Il affirme qu'en mai, des soldats et responsables locaux sont entrés dans des camps de déplacés et ont ordonné à ces derniers de quitter les lieux. Selon le travailleur humanitaire, la plupart d'entre eux ne sont pas rentrés, mais ont trouvé refuge en dehors des camps, dans des conditions de "misère".

Boîte de Pandore

Depuis son arrivée au pouvoir en avril 2018, après deux ans de manifestations antigouvernementales, le Premier ministre, Abiy Ahmed, un Oromo, a été salué pour les efforts réalisés pour desserrer la poigne du pouvoir.

Mais cet assouplissement a également permis une expression plus libre des tensions ethniques, qui ont souvent pour enjeu des terres ou des ressources, et se sont traduites par des violences meurtrières dans le deuxième pays le plus peuplé d'Afrique (plus de 100 millions d'habitants).

Une des zones les plus affectées par ces violences se situe le long de la frontière entre le district Gedeo, situé dans la région des Nations, Nationalités et Peuples du Sud, et le district de Guji Ouest, dans la région Oromo.

Cette zone du sud de l’Ethiopie aux collines verdoyantes produit un des meilleurs cafés au monde, mais elle est aussi une des plus densément peuplées du pays. Face à un déficit en terres agricoles alimenté par cette démographie, les rivalités entre communautés prennent une autre dimension.

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Les tensions ont toujours existé, mais en 2018, les Oromo de Guji Ouest ont attaqué les Gedeo vivant dans ce district. La crise qui a suivi a provoqué le déplacement interne de plus d'un million de personnes, principalement des Gedeo, selon le gouvernement.

Des violences similaires avaient éclaté en 2017 entre Somali et Oromo dans la région Somali du sud-est de l’Ethiopie, faisant des centaines de morts et environ un million de déplacés. En mai, des dizaines de personnes ont été tuées dans des affrontements à la frontière entre les régions septentrionales Amhara et Benishangul Gumuz.

"Aucun de ces conflits n'est vraiment nouveau, mais plusieurs d'entre eux ont éclaté à plus grande échelle que par le passé", analyse William Davison (International Crisis Group).

Les facteurs sont multiples: affaiblissement de la coalition au pouvoir après plusieurs années de manifestations et de tensions internes, pauvreté, compétition pour le contrôle des ressources, fonctionnement bancal d'un système fédéral pensé sur des lignes ethniques...

Face à l'émergence des revendications ethno-nationalistes, M. Abiy rechigne à recourir à la sévère répression qui était utilisée par ses prédécesseurs pour mater les violences communautaires.

Stade vidé

Le ministre éthiopien de la Paix, Muferiat Kamil, a affirmé que toutes les personnes déplacées rentreraient chez elles d'ici à fin juin. Dans le même temps, les autorités ont promis que personne n'y serait forcé.

Pourtant, un deuxième travailleur humanitaire assure que dans Yirgecheffe (sud), un stade dans lequel s'étaient réfugiés des milliers de déplacés a été vidé par la police avant un voyage de presse fin mai.

Seules 145.516 personnes réfugiées dans la région Gedeo sont rentrées chez elles, estime l'ONG chrétienne World Vision, alors que l'ONG Refugees International soutient que les retours forcés "ne feront qu'aggraver les souffrances".

"Il n'y a pas eu de réconciliation suffisante pour être rassuré quant à la sécurité des personnes qui rentrent chez elles", relève M. Davison.

A Cherqo, M. Teketel estime avoir de la chance après avoir réussi à ouvrir un petit magasin. Mais il espère rentrer cultiver ses terres. "Nous n'avons pas vu la paix depuis qu'Abiy a pris le pouvoir. La paix est la chose la plus importante pour un humain, pas seulement pour cultiver, mais aussi pour manger ce qui a été cultivé".

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