Encouragés par un public enthousiaste de tous âges, "Malek el-Leil" (Le roi de la nuit, en arabe), aux yeux lourdement fardés de noir, et "Tiger", drapé d'une cape au motif en peau de léopard, s'échangent des regards belliqueux.
Sur fond de musique rock et sous des effets de lumières, ils se lancent dans un corps-à-corps qui emprunte autant à une lutte sportive qu'à une chorégraphie spectaculaire.
Non loin de là, le visage masqué, Samir Ibrahim ou "Ninja", habillé de noir de la tête aux pieds, attend son tour.
"Trois mois après mon entrée à l'université, je suis tombé sur des gens qui me disaient: +Tu passes à la télévision, nous te connaissons, tu es +Ninja qui fait du catch+", raconte fièrement cet étudiant de 22 ans.
Momen Mohamed, surnommé "Commando", dit "suivre le catch américain depuis petit".
De nombreux cafés des quartiers populaires diffusent les programmes télévisés consacrés à ces compétitions qui ont lieu à l'étranger, surtout aux Etats-Unis, et les enfants admirent des vedettes américaines fortunées à l'instar de John Cena, Hulk Hogan, The Undertaker, Triple H ou encore Batista.
"Mon préféré est Rey Mysterio, en raison de ses mouvements légers sur les cordes et de sa façon de lutter sur le ring", confie Commando, en évoquant un célèbre catcheur américain d'origine mexicaine.
- Spectacle annulé -
Mais dans ce petit village près d'Ismaïlia, sur le canal de Suez, les moyens manquent pour ce type de spectacle, tandis que les autorités veillent à tout débordement.
La joie de près d'un millier de spectateurs s'avère ainsi de courte durée: après 10 minutes, des jeunes enthousiastes se lèvent et s'approchent du ring, trop près au goût de la sécurité, qui met immédiatement un terme au spectacle au grand dam des organisateurs.
"Nous n'avons pas été à la hauteur", confesse à la foule, par micro, l'un de ces organisateurs, Ahmed Abdullah. "Nous espérions présenter quelque chose de nouveau au village d'Abou Sultan", poursuit-il.
Surnommé Kabonga, l'initiateur du groupe de catcheurs, un géant de près de deux mètres, fond en larmes en regardant la foule quitter les lieux, alors que les lumières s'éteignent une à une.
"S'il y avait de l'argent, nous aurions pu offrir des sièges à tout le monde et engager une société organisatrice", regrette-t-il.
"Oui, personne ne réussit ici", en Egypte, chuchote un catcheur l'air las.
Marié et père de famille, Kabonga, de son vrai nom Ashraf Mahrous, 37 ans, a fondé en 2012 la Fédération égyptienne de catch professionnel (EWR), un groupe non officiel de huit catcheurs, dont deux filles, qui rêvent de la célébrité des professionnels américains. Le groupe compte aujourd'hui quelque 50 amateurs venus de tout le pays.
Pour les entraînements, il a installé un ring rudimentaire devant la maison familiale située dans un village voisin. Les catcheurs pratiquent au milieu des champs et des petits immeubles de briques rouges en construction.
- Pas de sponsors -
Kabonga, qui préparait la compétition-spectacle d'Ismaïlia depuis plusieurs mois, revient sur l'origine de sa passion.
"L'idée du catch est née sur le lit avec mon frère lorsque nous avons commencé à effectuer des mouvements de lutte", explique-t-il. Résultat: trois lits cassés. "Ma mère nous a laissé dormir à même le sol", raconte Kabonga qui, pour l'occasion, a glissé son impressionnant gabarit dans un costume cravate.
Et alors que les vedettes mondiales tirent une fortune de leurs performances en participant à des films et à des publicités, les catcheurs égyptiens commencent tout juste à faire parler d'eux à travers leur page Facebook, suivie par près de 40.000 personnes.
"J'ai toujours espéré que l'Égypte ait une fédération de catcheurs professionnels", confie Mohamed "le bûcheron", 27 ans, entré dans l'arène avec une hache.
"Je n'abandonnerai pas mon rêve", assure-t-il.
Avec AFP