En cette année 2018, cruciale pour la RDC qui se prépare à tourner une page de son histoire, les jurés du prix Nobel ont aussi récompensé une voix parmi les plus sévères envers le régime du président Joseph Kabila, davantage entendue à l'étranger que dans son pays.
Récompensé aux côtés de la Yazidie Nadia Murad, ex-esclave des jihadistes devenue porte-drapeau de sa communauté, le gynécologue de 63 ans a soigné par milliers des victimes de violences sexuelles, tout en s'employant à éveiller les consciences internationales.
"Lorsqu'on ne se bat pas contre un mal, c'est comme un cancer, il se diffuse dans la société et détruit la société entière", a-t-il expliqué à l'AFP avant la remise du Nobel à Oslo.
Marié et père de cinq enfants, le Dr Mukwege aurait pu rester en France après ses études à Angers (centre-ouest). Il a fait le choix de retourner dans son pays et d'y rester aux heures les plus sombres.
Par son combat pour la dignité des femmes, il est devenu de fait le porte-parole des millions de civils menacés par les exactions des groupes armés ou des grands délinquants du Kivu, région riche en minerais.
Lui-même dans le viseur, ce fils de pasteur pentecôtiste échappe de peu un soir d'octobre 2012 à une tentative d'attentat. Après un court exil en Europe, il retourne en janvier 2013 à Bukavu, capitale de la province du Sud-Kivu, où des femmes vivant souvent avec moins d'un dollar par jour se sont cotisées pour lui payer un billet d'avion.
Entre deux voyages à l'étranger, comme cette année en Irak pour lutter contre la stigmatisation des femmes violées, le Dr Mukwege vit dans sa fondation de Panzi, sous la protection permanente de soldats de la Mission des Nations unies au Congo (Monusco).
- "Guerre sur le corps des femmes" -
Né en mars 1955 dans ce qui est alors le Congo belge, Denis Mukwege est le troisième de neuf enfants. Après des études de médecine au Burundi voisin, il rentre au pays pour exercer à l'hôpital de Lemera, où il découvre les souffrances de femmes qui, faute de soins appropriés, sont régulièrement victimes de graves lésions génitales.
Après une spécialisation en gynécologie-obstétrique en France, il retourne à Lemera en 1989, pour animer le service gynécologique. Mais, lorsque la première guerre du Congo éclate en 1996, l'établissement est totalement dévasté.
En 1999, le Dr Mukwege crée l'hôpital de Panzi à Bukavu. Conçu pour permettre aux femmes d'accoucher convenablement, le centre devient rapidement une clinique du viol à mesure que le Kivu sombre dans l'horreur de la deuxième guerre du Congo (1998-2003) et de ses viols de masse.
Cette "guerre sur le corps des femmes", comme l'appelle le médecin, continue encore aujourd'hui et s'étend de plus en plus souvent aux enfants, voire aux nourrissons.
"Quand vous voyez un petit bébé innocent mais en sang avec les organes génitaux en lambeaux, vous vous posez des questions sur l'humanité", confie "l'homme qui répare les femmes", surnom hérité d'un documentaire qui lui a été consacré.
Ce colosse débordant d'énergie à la voix grave et douce a lancé en 2014 un mouvement féministe masculin, V-Men Congo.
Il prête aussi son image à une campagne mondiale incitant les multinationales à contrôler leurs chaînes d'approvisionnement pour s'assurer qu'elles n'achètent pas des "minerais du sang", qui contribuent à alimenter la violence dans l'est du Congo.
"Ce ne sont pas seulement les auteurs de violences qui sont responsables de leurs crimes, mais aussi ceux qui choisissent de détourner le regard", a-t-il déclaré lundi dans un discours de remerciement du Nobel, où il a appelé les consommateurs à être vigilants quand ils achètent des voitures, des bijoux ou des smartphones.
"Mon pays est systématiquement pillé avec la complicité des gens qui prétendent être nos dirigeants", a-t-il déploré. "Pillé aux dépens de millions d'hommes, de femmes et d'enfants innocents abandonnés dans une misère extrême tandis que les bénéfices de nos minerais finissent sur les comptes opaques d'une oligarchie prédatrice".
Dans une RDC engluée dans une crise politique émaillée de violences, Denis Mukwege a dénoncé à plusieurs reprises le régime à l'approche des élections du 23 décembre, auxquelles le président Kabila ne se représente pas.
"Les élections qui peuvent aider la République démocratique du Congo à se reconstruire doivent être libres, apaisées et transparentes", affirme-t-il. "Ces élections ne le sont pas et je crois que malheureusement, c'est des élections qui risquent tout simplement de créer des troubles supplémentaires".
À ceux qui le croient tenté par la politique, il rétorque que seuls comptent pour lui les malades de Panzi mais qu'il n'entend en rien renoncer à sa liberté d'expression.