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Dans le Donbass ukrainien, ceux qui "espèrent" l'arrivée des Russes


"Nous sommes le Donbass russe!" proclame cette gigantesque bannière à Donetsk, en Ukraine.
"Nous sommes le Donbass russe!" proclame cette gigantesque bannière à Donetsk, en Ukraine.

Par conviction identitaire, nostalgie de l'ère soviétique ou pour en finir au plus vite avec la guerre, une partie des habitants du Donbass ukrainien ne voient pas d'un mauvais oeil la progression des troupes russes dans leur région, quand ils ne la soutiennent pas ouvertement.

"Nous sommes ukrainiens administrativement, mais le Donbass, ce n'est pas l'Ukraine, les Ukrainiens, ce sont eux les étrangers, pas les Russes", souffle, à l'écart du marché de Lyssytchansk, Olena, qui a demandé à ce que son prénom soit modifié de peur que ses propos lui valent "la prison".

Cette région de l'est de l'Ukraine grande comme presque deux fois la Belgique, que la Russie affirme vouloir "libérer" du joug de "néonazis" russophobes au pouvoir selon elle à Kiev, est au coeur d'un conflit sanglant depuis 2014, lorsque des séparatistes prorusses, soutenus militairement par le Kremlin, ont pris le contrôle d'une partie de ce bassin minier majoritairement russophone.

Kiev a jusqu'ici gardé le contrôle d'une partie occidentale de la région. Et ses troupes tentent depuis deux semaines d'y contenir l'armée russe, qui pilonne la zone et grignote du terrain, s'emparant de plusieurs localités mais d'aucune ville d'importance.

Terrain ennemi

Dans la partie qu'ils contrôlent, les services ukrainiens ont déjà purgé les séparatistes purs et durs, annonçant régulièrement des "arrestations" de "saboteurs" présumés. Mais parmi les soldats ukrainiens déployés dans cette partie du pays, certains ne cachent pas – même si le sujet est sensible dans cette région à l'histoire complexe, où de nombreux Russes ont été envoyés travailler après la Seconde guerre mondiale – avoir l'impression d'être déjà en terrain ennemi.

"On peut faire le plus possible pour cacher nos positions, les habitants renseignent l'autre camp sur nous" indique à l'AFP Iryna, sergent dans une brigade d'infanterie qui vient de se replier de Kreminna, localité de la région de Lougansk perdue mi-avril par l'Ukraine. "C'est très, très fréquent et ça vient de personnes censées être au-dessus de tout soupçon, même des prêtres", ajoute la soldate, engagée dans cette région depuis 2014.

Dans ce contexte, les forces ukrainiennes ont fermé les yeux sur ces cars de civils qui arrivent aux barrages pour une évacuation vers la Russie plutôt que vers l'ouest de l'Ukraine, soulagés de les voir partir dans un contexte de tension maximale.

Et parmi les habitants qui sont restés depuis le début de l'invasion russe le 24 février, la tendance prorusse, alimentée par 8 ans d'affirmations russes sur un "génocide" des russophones en préparation dans le Donbass est de plus en plus marquée, redoutent les autorités ukrainiennes.

"Il y a des gens ici qu'au mieux ça ne dérange pas, au pire qui espèrent l'arrivée des Russes", a indiqué à l'AFP Vadim Lyakh, le maire de Sloviansk, ville-clé du front du Donbass, prise brièvement par les séparatistes pro-russes en 2014. "Ce n'est pas le moment de se quereller avec eux, nos retraités, les nostalgiques de 'l'idée russe'", précise-t-il.

Ici la majorité de la population est russophone. Même les soldats ukrainiens les plus patriotes parlent russe, gardant l'ukrainien pour les échanges officiels. Le conflit n'est pas ethnique ou linguistique, mais cristallisé sur les valeurs et le sentiment d'appartenance et de sécurité, notamment économique.

Plusieurs générations du Donbass ont vécu comme un abandon la désindustrialisation d'après l'indépendance en 1991 et le démembrement des outils de production par Kiev. La région est devenue un cimetière de bâtiments industriels, aux carreaux cassés et aux cheminées endormies. Les puits de mines, rebouchés, sont devenus des petits lacs où on pêche des poissons le week-end.

"Nous on travaillait!"

Olena, la prorusse convaincue, a ainsi travaillé 30 ans à la raffinerie de Lyssytchansk et s'anime en parlant de l'époque glorieuse où, jusqu'à l'éclatement de l'URSS en 1991, le Donbass "avait tout: le charbon, la houille, le sel, l'industrie chimique". "Quand les Ukrainiens ont manifesté à Maïdan, nous on travaillait!" lance-t-elle, comme une pique au mouvement ukrainien pro-européen qui a fait basculer le pouvoir en 2014 à Kiev, qu'elle méprise.

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L'ancienne ouvrière est persuadée que quand Moscou aura pris le contrôle de la région, l'économie régionale repartira. "Ce sera comme avant la guerre, peut-être même qu'ils feront tourner à nouveau ma raffinerie", s'emballe-t-elle, tout en s'interrogeant sur sa future retraite. Qui la versera ? Moscou ? Kiev ?

Dans un bunker conçu pour les ouvriers d'Ost Chem, l'usine d'azote de Severodonetsk, ville jumelle de Lyssytchansk, on dirait que le temps s'est arrêté. Les drapeaux communistes, le portrait de Stakhanov, le légendaire ouvrier du Donbass à la productivité modèle, sont encore affichés aux murs de l'abri anti-atomique.

Plus de 160 résidents de la ville, aujourd'hui sur la ligne de front, y survivent depuis deux mois dans des conditions insalubres. Et la plupart d'entre eux accusent les Ukrainiens de bombarder leur ville. Pour eux, les Russes ne peuvent pas être les agresseurs.

"Inconscience"

Tamara Dorivientko, professeure d'anglais à la retraite, y attend la fin des bombardements sur un lit de camp, en lisant Jane Austen. "Pourquoi aurais-je peur des Russes ? Nous avons vécu en URSS pendant 70 ans. Toute ma famille est en Russie, nos maris y travaillent six mois et reviennent ici, nous sommes pareils", dit-elle.

Mais la résidente de Severedonetsk balance encore : "J'aime l'Ukraine, c'est un très beau pays, riche et avec beaucoup de libertés, et j'aurais préféré y rester". "Que voulez-vous, maintenant c'est comme ca, on choisit pour nous", conclue-t-elle avec résignation.

De son côté, le maire de Slaviansk sait qu'il ne pourra rien faire de ces irréductibles et condamne leur "inconscience". "Ils veulent la fin de la guerre, mais ne voient pas de problème dans la façon dont la Russie mène les hostilités", dit Vadim Lyakh. "Il faut espérer que ce qui s'est passé à Marioupol, Kharkiv ou dans d'autres villes russophones les fasse changer d'avis".

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