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Cannes: Diao Yinan délivre un film de pure mise en scène


Le réalisateur kenyan Wanuri Kahiu, l'actrice kenyane Samantha Mugatsia et l'actrice kenyane Sheila Munyiva posent lors d'un photocall pour le film "Rafiki" lors de la 71ème édition du Festival de Cannes à Cannes, le 9 mai 2018.
Le réalisateur kenyan Wanuri Kahiu, l'actrice kenyane Samantha Mugatsia et l'actrice kenyane Sheila Munyiva posent lors d'un photocall pour le film "Rafiki" lors de la 71ème édition du Festival de Cannes à Cannes, le 9 mai 2018.

Avec "Le lac des oies sauvages", film racé, élégant et violent présenté samedi à Cannes, Diao Yinan modernise les codes du film noir classique des années 40, ce qui pourrait lui valoir le Prix de la mise en scène

Une pluie battante dans la nuit. Une petite gare de ville moyenne. Un homme sur ses gardes. Une femme s'approche. Il lui allume sa cigarette. Ainsi débute ce long métrage très référencé, en suivant le fameux point de départ du "boy meets girl" cher à Alfred Hitchcock.

Une rencontre entre Zhou Zenong (Hu Ge), un chef de gang en fuite et en quête de rédemption, et Liu Aiai (Gwei Lun-mei), une prostituée prête à tout pour recouvrer sa liberté, au coeur d'une traque lancée par la pègre et la police locales.

Pour transcender sa trame on ne peut plus classique, Diao Yinan a concentré ses efforts sur la forme, le visuel autant que le mouvement. Avec ses jeux d'ombres, de lumières, de miroirs, c'est du côté du "Troisième homme" de Carol Reed, du "Criminel d'Orson Welles et de l'expressionnisme de Fritz Lang ("Furie") ou d'Otto Preminger ("Laura") que lorgne sa caméra virtuose.

"Des éléments de ces grands films sont en effet présents. Mais mon plus grand défi était de ne pas seulement leur ressembler. Ma démarche, en invoquant ces grands classiques du film noir, était d'affirmer mon propre style. Et pour cela il faut posséder un langage cinématographique à soi", déclare-t-il à l'AFP.

Cette quête artistique dans un genre si codifié, le réalisateur de 49 ans l'a débutée en 2003 avec "Uniforme", qui reposait sur une histoire d'imposture. Plus existentialiste, "Train de nuit" avait été présenté en 2007 à Cannes dans la section Un certain regard. Thriller âpre et macabre, "Black Coal" lui a valu en 2014 l'Ours d'or à la Berlinale.

- Sous les yeux de Tarantino -

Yinan, qui aura donc dû attendre son quatrième film pour avoir les honneurs de briguer la Palme d'or, confie qu'il cherche à travers sa mise en scène à "proposer au spectateur une expérience à vivre". Une démarche à laquelle le président du Jury Alejandro Gonzalez Iñarritu, responsable de l'immersif "The Revenant", ne saurait être insensible.

Dans son travail très maîtrisé, Diao Yinan a ainsi fait du son un élément parfois aussi déterminant que l'image, comme lorsqu'il parvient à faire monter la tension ou la peur avec des bruits anodins de la rue ou du décor intérieur surgissant par surprise - ici un ballon de football qui cogne un meuble, là un gros sac rempli d'objets qui tombe par terre.

"Je n'aime pas quand une musique installe une tension, c'est une manière trop évidente de la créer, qui fait qu'on surligne le propos. Les bruits du quotidien, a fortiori quand ils sont brutaux, comme cela arrive assez souvent dans la vie, sont plus efficaces. Ils possèdent leur propre musicalité, très utile pour le rythme d'un film", argue-t-il.

Si dans "Black coal", Diao Yinan s'appuyait sur le thriller pour mieux ausculter la réalité sociale de son pays, dans "Le lac aux oies sauvages", il se penche plutôt sur la perte de valeurs morales chez ses compatriotes.

"Mes personnages tentent de résister, de se défendre face à l'humiliation sous toutes ses formes, et ce parfois au péril de leur vie. Ils veulent obtenir une somme d'argent, mais ils veulent surtout reprendre leur dignité humaine. Dans la Chine d'aujourd'hui, cette dignité se perd. Les gens oublient la droiture, la loyauté, l'esprit chevaleresque qui prévalaient dans la Chine ancienne. La Chine d'aujourd'hui doit retrouver ses valeurs", juge-t-il.

Quant à la quête de liberté mise en avant dans son film, Diao Yinan dit la prendre également à son compte : "Dans notre monde uniformisé, pouvoir montrer mon propre style à l'écran est à mes yeux également une forme de quête de liberté".

Un style brillant qui devrait parler à un autre cinéaste connaisseur et postmoderne, Quentin Tarantino, invité surprise de sa projection.

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