Médias
Cameroun: après l'assassinat d'un journaliste, colère et peur chez ses pairs

Prince Nguimbous ne cache ni sa colère, ni sa peur. Une affichette sur le ventre: "Si je parle, je meurs", il rend lundi un dernier hommage, comme une centaine de journalistes camerounais, à Martinez Zogo, enlevé et retrouvé mort, le corps mutilé.
Ses confrères et consoeurs sont venus déposer fleurs et bougies au siège de sa radio privée Amplitude FM, à Yaoundé, où il animait quotidiennement une émission dénonçant l'affairisme et la corruption dans ce pays d'Afrique centrale dirigé d'une main de fer depuis plus de 40 ans par un même homme, Paul Biya, et son tout puissant parti.
Enlevé le 17 janvier dans la banlieue de la capitale, devant un poste de gendarmerie, Arsène Salomon Mbani Zogo, dit "Martinez", 50 ans, est retrouvé mort cinq jour plus tard dimanche. "Son corps a manifestement subi d'importants sévices", a annoncé le gouvernement.
"Journaliste respecté, il dénonçait régulièrement des détournements de fonds présumés par des personnalités connues, notamment du monde des affaires. Son probable assassinat s’ajoute à la trop longue liste des personnes tuées, violentées, condamnées ou intimidées au Cameroun pour s'être exprimées sur des violations des droits humains, et cela dans une impunité totale", s'est émue lundi Amnesty international dans un communiqué.
"Terreur"
"Il est allé à la gendarmerie, il a crié, mais personne n'a rien fait", s'énerve Chantal Roger Tchuile, directeur du journal La tribune de l'Est. "C'est le règne de la terreur. On a l'impression que si un journaliste parle, il va mourir", abonde Prince Nguimbous devant le correspondant de l'AFP.
Quand les photographes s'intéressent à lui, ses confrères, tout de noir vêtus pour la plupart, hésitent à s'associer à sa colère, certains s'écartent même pour ne pas être sur la photo. Car la peur, qu'ont sans doute voulu instiller les assassins de Martinez Zogo dans la profession, est palpable.
"On m'a dit que je suis une cible, mais je suis étonné que la police ne se soit pas encore rapprochée de moi", ose pourtant le directeur de la publication d'un journal. Mais il requiert l'anonymat, pour sa sécurité.
A Douala, la capitale économique, les langues se déliaient plus facilement lundi au sein de plusieurs groupes de la société civile et d'ONG rassemblés pour une conférence de presse au siège du Réseau des Défenseurs des Droits Humains en Afrique Centrale (REDHAC), dans un pays où des journalistes et des opposants passent facilement de longues périodes derrière les barreaux, parfois sans jugement, selon les ONG nationales et internationales.
"Nous appelons le peuple à se mobiliser face à cette terreur étatique instaurée au Cameroun, pour exiger un Etat de droit", assène Philippe Nanga, représentant de Un Monde Avenir.
"Torture"
Maximilienne Ngo Mbe, militante emblématique des droits humains et présidente du REDHAC, qui lit leur déclaration conjointe, dénonce "l'enlèvement", la "torture" et "l’assassinat" de Martinez Zogo. Les "commanditaires et exécutants", "ils sont connus", lit-elle posément. Sans en dire plus.
Le gouvernement, qui d'ordinaire ne communique jamais avant plusieurs jours, s'est fendu d'un inhabituel communiqué le jour même de la découverte macabre. Des enquêtes sont ouvertes "pour retrouver et traduire devant la justice les auteurs de ce crime odieux", promet-il, martelant: "le Cameroun est un Etat de droit, où les libertés sont garanties, y compris la liberté de la presse".
"Les journalistes paient un lourd tribut au Cameroun depuis que l’Etat a décidé du recul des libertés fondamentales et installé la dictature. Broyant au passage et en laissant les prédateurs des deniers publics broyer toutes celles et ceux qui essayent de donner la vraie information aux populations qui sont plongées dans la misère du fait de leur boulimie", proclament encore les ONG à Douala, citant les cas emblématiques de journalistes ou opposants emprisonnés.
"C’est un grave coup porté à la démocratie et à la liberté de la presse", écrit lundi l'ONG Reporters sans frontières (RSF) qui appelle Yaoundé à "mettre un terme au climat de violence pour les professionnels des médias".
Et RSF cite le cas du reporter de Cameroun Web, Paul Chouta, critique du pouvoir, enlevé par plusieurs hommes le 9 mars 2022, violemment agressé avant d’être laissé pour mort sur le bord de la route.
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Tunisie: haro sur une série télévisée diffusée pendant le ramadan

Le ministre tunisien de l'Education a violemment critiqué vendredi une série diffusée pendant le ramadan, accusée de ternir l'image de l'école tunisienne, et deux avocats ont présenté un recours en justice pour arrêter sa diffusion.
La polémique a éclaté dès la diffusion jeudi soir sur la chaîne privée El Hiwar Ettounsi du premier épisode du feuilleton "Falloujah", qui reprend le nom de la ville irakienne érigée en symbole de résistance dans le monde arabe pour avoir été un bastion des rebelles sunnites hostiles à la présence militaire américaine après l'invasion de 2003.
Réalisée par la Tunisienne Sawssen Jemni, la série retrace le quotidien d'un groupe de lycéens, leur comportement envers leurs enseignants et les relations difficiles de certains d'entre eux avec leurs parents.
Dans l'une des scènes, une nouvelle enseignante, après avoir été draguée par des élèves en classe, découvre à sa sortie de l'école sa voiture taguée avec l'inscription "Welcome to Fallujah". Dans une autre, un dealer remet dans la cour de l'école des comprimés d'ecstasy à des élèves qui les revendent ensuite à des camarades.
Le ministre de l’Education Mohamed Ali Boughdiri a qualifié cette série de "mascarade" dans une déclaration à une radio locale, affirmant avoir alerté la cheffe du gouvernement Najla Bouden. "Nous allons prendre toutes les mesures nécessaires pour arrêter cette mascarade qui a offensé les familles" et "porte atteinte à tout le système éducatif et nuit considérablement à l'image de l’école tunisienne", a-t-il dit.
Deux avocats ont de leur côte déposé un recours auprès du tribunal de première instance de Tunis réclamant l'arrêt immédiat du feuilleton. "Cette série porte délibérément atteinte aux moeurs et au système éducatif par la diffusion d'obscénités", ont notamment écrit dans leur requête les avocats Saber Ben Ammar et Hssan Ezzedine Diab.
La Fédération de l'enseignement secondaire, un puissant syndicat, a violemment critiqué la série qui "porte gravement atteinte aux enseignantes et aux enseignants" et appelé le ministère de l'Education à enquêter "sur les circonstances qui ont permis son tournage par une chaîne privée dans une école publique".
Le secrétaire général de ce syndicat, Lassaad Yaacoubi, a affirmé de son côté que le ministère de l’Education avait approuvé le tournage en échange du don à l'établissement par la chaîne de "quelques meubles" utilisés pendant sa réalisation.
Le patron de TikTok prêt à défendre l'application au Congrès américain

Le patron de TikTok, Shou Chew, va défendre devant le Congrès américain jeudi les efforts de sa plateforme pour protéger les données des utilisateurs face à des élus qui l'accusent d'attenter à la sécurité nationale, selon son discours mis en ligne mercredi.
Shou Chew va être auditionné par une puissante commission parlementaire, alors que la populaire application du groupe chinois ByteDance risque l'interdiction totale aux Etats-Unis.
"Laissez-moi vous le dire sans équivoque: ByteDance n'est pas un agent au service de la Chine ou de tout autre pays", prévoit de dire le dirigeant, d'après son discours préliminaire publié sur le site de la Chambre des représentants.
"TikTok va rester une plateforme pour la liberté d'expression et ne sera manipulée par aucun gouvernement", va-t-il insister. De nombreux élus américains, de droite comme de gauche, estiment que le réseau social permet à Pékin d'accéder aux données confidentielles des utilisateurs.
Certains craignent aussi que l'application ne serve de cheval de Troie au Parti communiste chinois pour manipuler l'opinion. Et la plateforme, comme ses concurrentes, se voit régulièrement accuser de présenter des risques pour la santé mentale et physique des enfants et adolescents, de l'addiction aux défis dangereux comme le "jeu du foulard".
Le patron singapourien va défendre les efforts passés et présents de TikTok pour mieux protéger les données des utilisateurs américains, la question la plus pressante s'il veut éviter une interdiction. L'entreprise a déjà dépensé environ 1,5 milliard de dollars pour la mise en place du "Project Texas", qui consiste à n'héberger ces données qu'aux Etats-Unis, sur des serveurs du groupe texan Oracle.
"Plus tôt ce mois-ci, nous avons commencé à supprimer toutes les données américaines stockées sur des serveurs qui n'appartiennent pas à Oracle", doit préciser Shou Chew. Grâce à cette filiale ad hoc de TikTok, USDS, "il est impossible pour le gouvernement chinois d'y accéder ou de forcer (l'entreprise) à lui donner accès". Il compte aussi mentionner que les utilisateurs américains représentent 10% de leur base mondiale, mais 25% des visionnages.
Mardi, il s'est félicité d'avoir dépassé les 150 millions d'utilisateurs mensuels aux Etats-Unis, mais a regretté que "les politiques parlent d'interdire TikTok", dans une rare intervention directe sur la plateforme. C'est la première fois que Shou Chew sera entendu par le Congrès américain. Le PDG du réseau social chinois avait été reçu à Bruxelles début janvier pour échanger avec plusieurs hauts responsables européens.
Kenya: 43 modérateurs de Facebook licenciés portent plainte contre Meta

En décembre 2022, une ONG kényane et deux citoyens éthiopiens ont déposé plainte au Kenya contre Meta, accusant la plateforme de ne pas assez combattre la haine en ligne et réclamant la création d'un fonds de 1,6 milliard de dollars pour en indemniser les victimes.
Quarante-trois modérateurs de Facebook licenciés en janvier ont annoncé porter plainte au Kenya contre Meta, maison mère du réseau social, notamment pour "licenciement illégal", selon un communiqué publié lundi. Meta, qui englobe également Instagram et WhatsApp, a entrepris de réduire ses effectifs de près de 25% en moins de six mois, symbole des difficultés traversées par le secteur de la tech.
"En janvier, 260 modérateurs de contenu travaillant au centre de modération de Facebook à Nairobi, au Kenya, ont été informés qu'ils seraient licenciés par Sama, la société d'externalisation qui gère le bureau depuis 2019. Du jour au lendemain, ces modérateurs effectuant un travail essentiel pour l'Afrique de l'est et du sud ont perdu leur emploi", selon le communiqué.
"43 modérateurs du centre de modération de Facebook à Nairobi portent plainte contre la société de médias sociaux et ses sous-traitants pour avoir licencié l'ensemble de la main-d'œuvre et pour avoir mis sur liste noire tous les travailleurs licenciés", poursuit le communiqué. Contactée, Meta n'a pour l'heure pas donné suite aux sollicitations de l'AFP. Après avoir affiché une croissance insolente depuis sa création, Facebook, devenu Meta fin 2021, souffre, depuis l'an dernier, du ralentissement de la publicité en ligne.
Le Parlement européen réclame la libération du journaliste tunisien Noureddine Boutar

Le Parlement européen a exhorté les autorités tunisiennes à "libérer immédiatement" le journaliste Noureddine Boutar et "les autres personnes détenues arbitrairement", dénonçant la "dérive autoritaire du président Saied".
Dans une résolution adoptée jeudi à une très large majorité, le Parlement européen se dit "profondément préoccupé par la dérive autoritaire du président Saied et par son instrumentalisation de la situation socio-économique désastreuse de la Tunisie pour renverser la transition démocratique historique du pays". Les eurodéputés demandent à ce qu'il soit "mis fin à la répression en cours à l'encontre de la société civile".
Ils exhortent le chef de la politique étrangère de l'UE Josep Borrell et les États membres à dénoncer publiquement la grave détérioration de la situation des droits humains en Tunisie et réclament la suspension des programmes spécifiques de soutien de l'UE aux ministères de la Justice et des Affaires intérieures.
Début février, les autorités ont lancé un coup de filet contre des personnalités dont plusieurs ex-ministres, des hommes d'affaires connus comme Kamel Eltaïef, et le directeur de Radio Mosaïque, la plus écoutée de Tunisie, Noureddine Boutar. Le président les a qualifiés de "terroristes", les accusant de "complot contre la sécurité de l'Etat".
Cette vague d'arrestations, sans précédent depuis le coup de force du président Saied qui s'est octroyé tous les pouvoirs depuis le 25 juillet 2021, a été décrite par Amnesty International comme une "chasse aux sorcières motivée par des considérations politiques". Dans sa résolution, le Parlement européen condamne par ailleurs fermement "le discours raciste du président Saied contre les migrants subsahariens et les attaques qui ont suivi".
Le 21 février, M. Saied avait affirmé que la présence de "hordes" d'immigrés clandestins originaires d'Afrique subsaharienne était source de "violence et de crimes" et relevait d'une "entreprise criminelle" visant à "changer la composition démographique" du pays. A la suite de ces propos, de nombreux immigrés ont été la cible d'agressions et des centaines d'entre eux ont demandé à leurs ambassades à être rapatriés dans leur pays.