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Au Nigeria, récupérer sa carte d'électeur pour "changer" le pays


Un homme montre sa carte d'électeur récupérée auprès de la Commission électorale nationale indépendante à Lagos, le 12 janvier 2023.
Un homme montre sa carte d'électeur récupérée auprès de la Commission électorale nationale indépendante à Lagos, le 12 janvier 2023.

Il faut s'armer de patience, arriver à l'aube et faire la queue des heures sous le soleil pour espérer retirer, peut-être, sa carte d'électeur au Nigeria, pays le plus peuplé d'Afrique qui élira le 25 février son nouveau président.


Quelque 93 millions de Nigérians sont inscrits sur les listes électorales, dont 10 millions de nouveaux électeurs qui ont ou doivent retirer leur carte pour participer à ce scrutin. Ils désigneront un successeur à Muhammadu Buhari, au pouvoir depuis 2015 et qui se retire après deux mandats, comme prévu par la Constitution.

Plus de 84% de ces nouveaux électeurs ont moins de 34 ans, et constituent un vivier important de votes. Beaucoup espèrent un changement radical au Nigeria, nation ouest-africaine de 215 millions d'âmes gangrenée par la corruption, les inégalités criantes et une insécurité quasi-généralisée.

Un marasme qui contraste avec le dynamisme et l'ingéniosité de sa jeunesse, dont une partie excelle dans les nouvelles technologies et les industries créatives, comme en musique avec l'Afrobeats et dans le cinéma avec Nollywood. Mais encore faut-il que cette jeunesse puisse se rendre aux urnes munie de carte d'électeur. Car son obtention peut se révéler un parcours du combattant.

A Lagos, la capitale économique, d'immenses files d'attentes se forment devant les centres de collecte des cartes électorales (PVC), où des agents de la Commission électorale (Inec) appellent les noms des électeurs, vérifient d'interminables listes, avant de remettre, à certains, le précieux sésame.

"Ma carte n'est pas prête, ils doivent retourner à Abuja la chercher", a expliqué samedi à l'AFP Chuks David après plusieurs heures passées devant une école de Surulere, un quartier populaire. "La situation du pays doit s'améliorer, voilà pourquoi je prends le temps et beaucoup d'énergie pour obtenir cette carte", ajoute ce développeur informatique, qui devra revenir dans quelques jours.

Dans le quartier voisin Alimosho, Gbemisola Akindola, a été plus chanceuse et a récupéré sa carte. "Aujourd'hui, le temps est venu de donner le pouvoir à la jeune génération. Si je ne vote pas maintenant, quand le ferai-je ?", lance-t-elle.

Insécurité

La Commission électorale a prolongé la semaine dernière de huit jours la date limite de collecte des cartes. Par le passé, les élections au Nigeria ont été entachées de retards logistiques, de violences et d'accusations de fraude.

En 2019, la Commission a reporté l'élection d'une semaine quelques heures avant le scrutin en raison de la difficulté à acheminer du matériel électoral. L'Inec affirme que le scrutin de 2023 sera plus transparent après l'introduction du transfert électronique des résultats et d'une technologie d'identification biométrique pour mettre fin à la fraude.

"Cela a donné confiance" aux électeurs, estime Adenike Tadese, un des responsables de l'Inec à Lagos. "C'est la raison pour laquelle notre peuple se déplace en masse pour retirer leur carte."

Outre la collecte des cartes, la participation sera conditionnée par la possibilité de se rendre aux urnes. D'immenses pans du territoire nigérian sont minés par une grave insécurité, entre une insurrection jihadiste dans le nord-est, des bandes armées qui sèment la terreur dans le nord-ouest et une agitation séparatiste dans le sud-est.

L'Inec a prévenu que l'élection risquait d'être reportée ou perturbée si la sécurité n'était pas assurée. Le gouvernement affirme que des mesures ont été mises en place pour cela. Voir la nation pacifiée est l'une des plus grandes attentes des électeurs, qui veulent également un président capable de redresser l'économie.

Près d'un Nigérian sur deux vit dans l'extrême pauvreté, et ne voit pas la couleur de la manne pétrolière du pays, pourtant l'un des plus gros producteurs d'or noir en Afrique. Le Nigeria manque de tout: de routes, d'écoles, d'hôpitaux, d'électricité etc. Le coronavirus, puis la guerre en Ukraine, ont empiré une situation déjà catastrophique.

Mouvement #EndSARS

Les défis seront immenses pour le vainqueur de cette présidentielle. Pour l'heure, trois favoris émergent parmi les huit candidats. Bola Tinubu, 70 ans, ancien gouverneur connu sous le nom de "parrain de Lagos" pour son poids politique, bénéficiera du réseau du parti au pouvoir, l'APC.

Atiku Abubakar, 76 ans, du principal parti d'opposition, le PDP, est un ancien vice-président, riche homme d'affaires qui en est à sa sixième candidature à la présidence. Et Peter Obi, 61 ans, ancien gouverneur et membre du Parti travailliste, est l'outsider qui promet d'apporter le changement tant attendu.

La participation est souvent faible au Nigeria (33% en 2019). De nombreux jeunes disent ne pas ressentir d'enthousiasme pour les candidats. Mais il y a deux ans, des manifestations contre les violences policières se sont transformées en un mouvement historique, connu sous le nom de #EndSARS. Violemment reprimé, il a toutefois insufflé l'espoir d'une possibilité de changement par les urnes.

"Si les choses ne marchent pas au Nigeria, le gouvernement est à blâmer, mais j'ai aussi ma responsabilité", affirme Opeoluwa Adekoya, 27 ans, venu récupérer sa carte à Surulere.

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