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Une "sale guerre" qui prend de l'ampleur au Cameroun anglophone


Des soldats de la 21e Brigade d'infanterie motorisée patrouillent dans les rues de Buea, région du Sud-Ouest du Cameroun, le 26 avril 2018.
Des soldats de la 21e Brigade d'infanterie motorisée patrouillent dans les rues de Buea, région du Sud-Ouest du Cameroun, le 26 avril 2018.

Chaque jour ou presque, un récit d'une attaque d'hommes armés ou d'un village incendié par les forces de sécurité émerge des régions anglophones du Cameroun : le conflit qui y oppose l'armée aux séparatistes ne cesse de prendre de l'ampleur.

"En moins de deux semaines, les convois du chef d'Etat-major, du gouverneur et le mien ont été attaqués", explique le général Donatien Nouma Melingui, chargé des opérations militaires dans le Sud-Ouest, l'une des deux régions anglophones en crise.

"Les attaques viennent de partout. Ce sont beaucoup de petits groupes, emmenés par des +comzones+", estime-t-il depuis Buea, la "capitale" de la région. A moins de 20 km de là, une enseignante a été abattue samedi.

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Buea est le dernier endroit où les journalistes et les ONG internationales peuvent s'aventurer avec l'aval du gouvernement qui estime que, passés les faubourgs montagneux de la ville, la situation sécuritaire ne permet pas de circuler.

"Sur la route, des hommes armés sortent de la forêt pour contrôler les voitures. Si vous êtes un Camerounais francophone, un Français ou un militaire, vous êtes morts", affirme Matthias Ekeke, rapporteur de la Commission nationale des droits de l'homme (CNDH) pour le Sud-Ouest. La France est accusée par les séparatistes de soutenir Yaoundé.

"C'est impossible de circuler sans les croiser", corrobore un prêtre du diocèse qui préfère garder l'anonymat, décrivant des combattants masqués et armés sommairement.

Ces hommes se prétendent "forces de restauration" d'un Etat anglophone, qui avait éphémèrement vu le jour entre les deux guerres mondiales sous mandat britannique. Un Etat émietté entre le Nigeria et le Cameroun lors du partage des terres par les anciens administrateurs coloniaux, en 1960.

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"Ce sont des jeunes drogués bardés de grigris", tranche le général Melingui, qui reconnait cependant qu'ils "connaissent leur terrain". "Ce sont des jeunes des villages alentours, on les cherche mais on ne les trouve pas, nos éléments ne sont pas chez eux en forêt".

Alors, l'armée patrouille sur les quelques axes routiers qui s'enfoncent dans la forêt dense. Et se fait attaquer, souvent.

Dans le Sud-Ouest, 24 membres des forces de sécurité ont été tués depuis novembre 2017 par des séparatistes lors d'attaques isolées.

Les bilans varient au gré des sources, dans un conflit où l'accès indépendant à l'information est "quasi impossible", selon un défenseur des droits de l'homme qui préfère rester anonyme.

Les séparatistes utilisent Whatsapp pour communiquer et faire leur propagande, quand Yaoundé répond à grand renfort de communiqués. "Des deux côtés, il y a des mensonges, chacun raconte ce qu'il veut", poursuit-il.

"Et comme personne ne connait le nombre de morts civils ou le nombre de déplacés, la presse n'en parle pas. Tout le monde se fout du Cameroun anglophone", peste John, un étudiant de Buea.

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"Le Cameroun aura beau pleurer ses morts, c'est l'armée qui a radicalisé les jeunes contre qui elle combat. Si Yaoundé n'avait pas commencé à tuer des gens, ils auraient mis fin à cette crise avant que ca n'empire", estime le prêtre.

"L'armée comme les séparatistes commet des exactions. Mais les militaires font pire que le camp d'en face et refusent qu'on en parle", affirme Blaise Chamango, directeur de l'ONG "Human is Right".

L'armée est notamment accusée par des habitants et ONG d'avoir incendié de nombreux villages anglophones, en représailles aux assassinats de forces de sécurité.

"Nous ne brûlons que les maisons où on découvre des armes", se défend, lapidaire, le général Melingui.

Sur les réseaux sociaux, les vidéos de militaires camerounais mettant le feu à des baraquements se multiplient, de même que les témoignages d'habitants qui ont fui des villages rasés. Près de 34.000 personnes se sont réfugiés au Nigeria voisin.

"Quand les choses deviennent volatiles sur le terrain, les militaires font ce qu'ils veulent en toute impunité", estime M. Ekeke, de la CNDH.

A cela s'ajoute "les écoles vides depuis un an et un système de racket des forces de sécurité", selon lui. Il affirme que des gendarmes demandent parfois 30.000 francs (45 euros) aux familles de personnes arrêtées pour les libérer.

"C'est un grand chaos! Si les jeunes rejoignent les combattants, c'est qu'ils se sentent abandonnés par l'Etat camerounais", s'inquiète-il.

A Buea, nichée sur les flancs du mont Cameroun, les militaires patrouillent en ville et cette "sale guerre", selon John, est sur toutes les lèvres.

Selon tous les interlocuteurs rencontrés par l'AFP, les populations du Sud-Ouest ont pour la plupart pris le parti de la cause séparatiste.

Pourquoi? "Par peur des représailles", veut croire le général Melingui.

"Trop c'est trop, les anglophones du Cameroun l'ont compris et on n'arrêtera pas", pense de son côté un professeur de l'Université de Buea.

Avec AFP

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