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Une interdiction de la vente de tabac qui passe mal en Afrique du Sud


Les gens portant des masques pour se protéger contre le coronavirus dans le centre-ville de Johannesburg, Afrique du Sud, le 11 mai 2020.
Les gens portant des masques pour se protéger contre le coronavirus dans le centre-ville de Johannesburg, Afrique du Sud, le 11 mai 2020.

Fallait-il prohiber la vente de tabac pendant le confinement contre le coronavirus ? Le débat sanitaire a viré à la controverse politique et à l'imbroglio judiciaire en Afrique du Sud, où le gouvernement est la cible de toutes les critiques. 

Le 23 avril, le président Cyril Ramaphosa annonce, dans le cadre d'un assouplissement progressif des mesures de confinement, la levée à partir du 1er mai de l'interdiction de la vente des cigarettes, en vigueur depuis fin mars.

Les fumeurs soufflent. Leur soulagement sera de courte durée.

Six jours plus tard, la ministre de la Gouvernance, Nkosazana Dlamini-Zuma, membre-clé du cabinet resserré en charge de la crise sanitaire, fait marche arrière.

"La façon dont le tabac est partagé ne permet pas de distanciation sociale", justifie la ministre qui, il y a plus de vingt ans, s'était illustrée dans une croisade anti-tabac au ministère de la Santé.

“Quand les gens se roulent une cigarette", ajoute-t-elle, "ils mettent de la salive sur le papier puis ils partagent cette cigarette." Fin de l'explication.

Les fumeurs sont furieux. Depuis fin mars, plus d'un demi-million de personnes ont signé une pétition dénonçant une "farce" et exigeant la reprise du commerce de cigarettes.

L'industrie fulmine. L'Association indépendante et équitable du tabac (Fita), qui représente les fabricants de cigarettes, saisit la justice. "Il n'y a aucun fondement pour soutenir que l'interdiction des cigarettes est liée à la lutte contre le Covid-19", estime son président, Sinenhlanhla Mnguni.

"Les seuls bénéficiaires" de cette mesure sont "les vendeurs illégaux", estime le numéro 1 du marché en Afrique du Sud, filiale du géant British American Tobacco, qui décide pourtant de ne pas s'associer à la plainte.

- Cafouillage -

Le marché noir se porte effectivement très bien. Un quart des habitants des quartiers informels réussissent à se procurer des cigarettes malgré l'interdiction de vente, selon une enquête du Conseil de recherche en sciences humaines (HSRC) commandée par le gouvernement.

Sur le plan médical, le début sur le maintien de l'interdiction divise.

L'épidémiologiste Salim Abdool Karim, à la tête du comité d'experts qui conseille le gouvernement, refuse de se prononcer en arguant qu'il n'a pas rendu d'avis à ce sujet.

Mais pour le Pr Mosa Moshabela, à la tête de l'école de santé publique de l'université du KwaZulu-Natal (nord), la décision est parfaitement justifiée.

Face au Covid-19, "les fumeurs font partie des groupes à haut risque, comme les personnes âgées", souligne-t-il à l'AFP. Il "critique" toutefois le manque de communication du gouvernement qui, selon lui, n'a pas pris le temps d'expliquer "une décision si importante pour tant de personnes".

Le cafouillage au sommet de l'Etat alimente les spéculations sur des divisions, récurrentes, au sein du gouvernement.

Le ministre des Finances, Tito Mboweni, a avoué qu'il n'était "pas favorable au maintien de l'interdiction". "Mais j'ai perdu l'arbitrage et donc j'ai dû m'aligner", a-t-il expliqué.

Sur le plan financier, l'interdiction coûte cher au gouvernement: 300 millions de rands (15 millions d'euros) de taxes au budget de l'Etat, selon le patron du fisc, Edward Kieswetter.

- Tensions à l'ANC -

Tito Mboweni "nous donne l'impression que faire partie du gouvernement est horrible, que c'est comme d'avaler une solution dentaire chaque matin", a commenté pour l'AFP l'analyste politique Ralph Mathekga.

Cyril Ramaphosa a mis cinq jours pour réagir à l'annonce de sa ministre et expliquer, à qui veut bien le croire, que le revirement était le résultat d'une décision "collective".

"Il est faux de suggérer qu'il y a des ministres ou un président qui font et disent ce que bon leur semble sur le sujet", a-t-il assuré, précisant que l'interdiction avait été prolongée pour "la santé de la population, un point c'est tout".

Mais le silence du président "montre que les différences politiques qui existaient au sein de l'ANC (Congrès national africain, au pouvoir) avant le coronavirus ont mis peu de temps à refaire surface", estime Ralph Mathekga.

L'ANC est divisée depuis plusieurs années entre pro et anti Jacob Zuma, le prédécesseur de Cyril Ramaphosa, contraint de démissionner en 2018 pour cause de scandales de corruption.

Fin 2017, les deux camps s'étaient affrontés pour prendre le contrôle du parti: le camp anti-Zuma et son candidat Cyril Ramaphosa s'étaient imposés de justesse devant l'ex-femme de l'ancien chef de l'Etat... Nkosazana Dlamini-Zuma.

La bataille du tabac a ravivé ces dissenssions. "La faction Zuma a aujourd'hui de bonnes raisons de dire qu'elle existe toujours" car, avec la crise sanitaire, "il va y avoir d'importantes ressources à distribuer", souligne Ralph Mathekga.

L'Afrique du Sud, le pays d'Afrique subsaharienne le plus touché par le Covid-19 avec plus de 10.000 cas, espère obtenir des bailleurs internationaux une aide financière pouvant atteindre 3,9 milliards d'euros.

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