Dans un camp syrien, "il y a les terroristes de demain"

Ces enfants, photographiés le 4 mars 2019 dans le camp d'al-Hol en Syrie, disent qu'ils se sentent plus en sécurité dans une zone de guerre que dans ce camp, car on leur a fait croire que les islamistes les protégeaient.

Des fillettes en niqab, des visiteurs traités de "mécréants" et accueillis avec des pierres: les enfants de jihadistes du camp syrien d'Al-Hol sont de plus en plus radicalisés et doivent être "rapatriés au plus vite" en Europe, estime une personnalité belge impliquée dans le dossier. 

Heidi De Pauw, directrice générale de l'association Child Focus, qui s'est rendue trois fois à Al-Hol en deux ans, assure que les forces kurdes lui ont avoué, lors de sa dernière visite en décembre, "avoir perdu le contrôle" du camp, situé dans le nord-est de la Syrie.

C'est le groupe Etat islamique (EI) qui a pris le relais, surtout parmi les étrangers du camp, dit-elle: "On se croirait à Raqqa", l'ancien fief de l'EI en Syrie.

Ses propos font écho à ceux tenus récemment par le Premier ministre belge Alexander De Croo.

"Dans ces camps il y a les terroristes de demain", a averti M. De Croo le 4 mars pour justifier son engagement, unique en Europe, à "tout faire" pour rapatrier tous les enfants belges de 12 ans et moins --avec une approche "au cas par cas" réservée aux mères.

"Un embryon de nouvel Etat islamique se constitue là-bas", a estimé de son côté le député belge Georges Dallemagne, qui accompagnait Mme De Pauw en décembre à Al-Hol.

Ce camp accueille, selon les ONG (qui le comparent à un "Guantanamo bis"), quelque 62.000 personnes, en grande majorité des jihadistes syriens et irakiens avec leurs familles.

Au sein de cette population sont également recensés environ 10.000 "étrangers" (Français, Allemands, Néerlandais, Belges etc.), détenus dans la partie dite internationale. Il s'agit quasi exclusivement de femmes et d'enfants, déplacés de Baghouz (sud-est) il y a deux ans après la chute de cette dernière poche de résistance des jihadistes de l'EI.

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- "Faire des bébés" -

Heidi De Pauw y décrit la présence de "tribunaux appliquant la charia". "Toutes les femmes qu'on a croisées portaient le niqab noir, même des petits filles de 3 ou 4 ans", et "beaucoup de femmes ont aussi organisé des écoles islamiques", poursuit-elle.

En juin 2019, la dirigeante de Child Focus avait accompagné une mission belge ayant permis de ramener six enfants et adolescents, des orphelins ou victimes d'un enlèvement parental. Soit une petite partie de la quarantaine de mineurs belges qui seraient encore en Syrie, d'après une étude récente de chercheurs belges.

Lors de ce déplacement, trois mois après la chute de Baghouz, Mme De Pauw avait pu approcher des femmes à Al-Hol. "Celles-ci voulaient vraiment saisir l'occasion de s'exprimer face à des visiteurs venus d'Europe".

En décembre, plus rien de tel, "on a ressenti immédiatement la tension". "A un moment les enfants se sont retournés contre nous en nous traitant de 'kouffar' (mécréants) et en commençant à nous jeter des pierres", raconte-t-elle, "c'est triste de voir qu'on peut être radicalisé à ce point à 9-10 ans".

Aucun contact n'a été possible avec les femmes, déplore Mme De Pauw, redoutant une porosité croissante entre ces "radicalisées" et les sympathisants de l'EI à l'extérieur qui repassent à l'offensive en perpétrant des attentats.

Autre indice de pratiques relevant de l'islamisme radical, selon elle : des gardes kurdes ont expliqué que des adolescentes devaient se marier dès la puberté "pour faire des bébés".

"On a nous a dit que des femmes elles-mêmes approchaient des hommes irakiens, syriens, mais également des employés d'ONG pour tomber enceintes".

Pourtant "ce n'est vraiment pas un endroit pour les enfants", "il n'y a pas d'accès à l'école, pas assez de nourriture, très peu d'eau potable. Il fait hyper chaud en été, très très froid en hiver, et chaque famille n'a pas sa propre tente".

"Il faut rapatrier les enfants au plus vite pour des raisons humanitaires et sécuritaires", conclut-elle.

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