L'économie du Soudan peine à sortir la tête de l'eau

Des conducteurs soudanais font la queue pour faire le plein de carburant de leur véhicule à Omdourman le 11 mars 2020. (Photo: ASHRAF SHAZLY / AFP)

Au lieu de relever la tête après la chute de la dictature du président Omar el-Béchir il y a presque un an, l'économie soudanaise n'a fait que s'enfoncer dans une profonde crise qui risque de menacer la paix sociale dans un pays en pleine transition politique.

Et la population en subit de plein fouet les conséquences. A Khartoum, il faut six heures d'attente en moyenne pour faire le plein dans les stations-service encombrées, trois heures pour acheter du pain tandis que les bonbonnes de gaz domestique sont rares à trouver et que les coupures d'électricité durent six heures ou plus par jour.

Les usagers des transports publics attendent longuement dans la poussière et sous un soleil de plomb le passage d'un bus hypothétique.

"Les gens ont manifesté pour le changement. Il y a eu des martyrs et des jeunes ont sacrifié leur vie. Par conséquent ceux qui gouvernent aujourd'hui doivent partir s'ils se sentent incapables de relever la situation", lance Hassan Ibrahim, la cinquantaine, qui ne décolère pas.

Il attend depuis des heures pour un plein de diesel pour son minibus de transport, son unique gagne-pain.

Un certain mécontentement populaire s'est exprimé lors de manifestations le 20 février dernier contre la mise à la retraite d'officiers de l'armée qui ont soutenu le mouvement de contestation contre le régime de M. Béchir, arrêté et jugé.

Mais un ras-le-bol généralisé n'a pas eu lieu. Et le capital de sympathie pour le Premier ministre Abdallah Hamdok s'est renforcé après l'attentat manqué qui l'a visé lundi avec des manifestations en sa faveur.

"Nous souhaitons une solution rapide. Le carburant, l'électricité et le pain sont essentiels à la vie et on ne peut pas s'en passer", dit Mohammed Ibrahim, en poussant sa voiture vers les pompes de la station-service à plusieurs centaines de mètres.

Dans certains foyers, un membre de la famille est assigné à la corvée du pain.

C'est le cas de Mohammed Omar, 20 ans. "Depuis quatre mois, je passe des heures devant la boulangerie. Le gouvernement a promis une solution dans un mois et on n'a rien vu venir."

- "Totale banqueroute" -

L'indépendance en 2011 du Soudan du Sud, qui renferme l'essentiel de la richesse pétrolière de l'ancien Soudan, a mis le nord dans une situation de dépendance énergétique.

Cette semaine, le ministère de l'Energie a indiqué que la raffinerie de Khartoum fonctionnait à plein régime mais qu'elle n'arrivait qu'à répondre à 70% des besoins du pays en essence, à 45% en diesel et à 65% en gaz domestique.

Le gouvernement ne cesse de réaffirmer son intention de s'attaquer de front à la situation mais dit manquer de ressources.

"Nous avons hérité d'un Etat en totale banqueroute", a affirmé à l'AFP le ministre de la Culture et de l'Information et porte-parole du gouvernement, Fayçal Mohammed Saleh.

"Nous ne voulons pas de charité mais de quoi faire redémarrer notre économie d'autant plus que le pays dispose de ressources naturelles", a-t-il ajouté. "A titre d'exemple, la production de blé est prometteuse mais nous avons besoin de fuel pour faire fonctionner les moissonneuses-batteuses."

M. Hamdok, un économiste qui a travaillé pour l'ONU, a promis de réunir fin mars des assises nationales sur l'économie et une conférence des Amis du Soudan, une sorte de forum des donateurs, en juin.

- "Agir vite" -

Le Soudan table sur son retrait d'une liste américaine de pays soutenant le terrorisme, une décision sans laquelle il ne peut espérer un flux d'investissements étrangers.

Les instances internationales à l'image du Fonds monétaire international (FMI) peignent un sombre tableau de l'économie soudanaise.

"Avec de grands déséquilibres et des politiques peu contraignantes, les perspectives (de l'économie soudanaise) sont alarmantes sans réformes politiques", écrit le FMI dans un rapport sur le Soudan.

"En plus, la forte inflation (6O%), la dépréciation continue des taux de change et les pénuries généralisées continueront à aggraver les tensions sociales", ajoute le rapport.

Selon le FMI, l'économie soudanaise s'est contractée de 2,3% en 2018, de 2,5% en 2019 et aurait une croissance négative de -1,2 en 2020.

Jonas Horner, analyste principal du Soudan à l'International Crisis Group, affirme à l'AFP qu'il y a un risque d'effondrement de l'économie soudanaise.

"Alors que l'inflation continue de grimper en flèche, que la plupart des ménages subissent une forte pression financière et que les subventions des principaux produits de base drainent les coffres de l'Etat, le gouvernement de transition et la communauté internationale doivent agir vite pour éviter un effondrement économique et la désintégration du processus de transition qui l'accompagne."