Comment les médias américains n'ont pas vu venir la victoire de Trump ?

Des journalistes sont installés prés du lieu de la soirée électorale de Donald Trump, à New York, le 8 novembre 2016.

Comment les journalistes n'ont-ils pas vu venir la victoire du populiste Donald Trump à la tête des Etats-Unis? Les médias, qualifiés par le républicain de malhonnêtes et corrompus, menaient mercredi une introspection sur leur couverture de l'élection présidentielle.

La "publicité gratuite" dont a bénéficié le milliardaire au début de sa campagne a-t-elle contribué à sa victoire? Puis la guerre ouverte de M. Trump contre les médias, qui a nourri la méfiance de l'opinion à leur égard, a-t-elle dopé ses soutiens?

Cette campagne a été "un énorme ratage" pour les journalistes, estime Margaret Sullivan, spécialiste des médias au Washington Post. "Disons-le franchement, les médias ont raté l'histoire".

"En fait beaucoup d'électeurs américains voulaient quelque chose de différent. Et, bien que ces électeurs l'aient crié et hurlé, la plupart des journalistes ne les ont pas entendus".

Pour le spécialiste des médias du New York Times Jim Rutenberg, la plupart des journaux et des télévisions ont mal pris le "pouls complexe" de l'Amérique.

Selon lui, la presse "n'a pas réussi à détecter la bouillante colère d'une large partie de l'électorat américain, qui se sent laissée pour compte par une reprise économique qui n'a bénéficié qu'à quelques-uns, trahie par des accords commerciaux qu'elle voit comme une menace sur l'emploi, et insultée par les élites de Washington, de Wall Street et des grands médias".

Exposé sans filtre

L'homme d'affaires entretient des relations compliquées avec les médias depuis qu'il s'est lancé dans la course à la Maison Blanche en juin 2015.

Il a été aidé par "une énorme exposition (médiatique), très tôt et sans filtre" pendant le processus des primaires, relève Mme Sullivan.

Le milliardaire aurait ainsi bénéficié d'une publicité gratuite équivalente à 2 milliards de dollars, qui l'a aidé à remporter l'investiture de son parti, contre toute attente, selon d'autres experts.

Le professeur de communication Chris Wells de l'université du Wisconsin a montré dans une étude début 2016 que l'homme d'affaires avait réussi à monopoliser l'attention des médias par ses commentaires provocateurs ou atypiques, relayés parfois en continu sans sourciller par télévisions et journaux, augmentant au passage leur audience.

"M. Trump a réussi à lui seul à répondre aux impératifs de l'information en intégrant le cycle de l'actualité (...) et en y rentrant régulièrement, avec des histoires et des initiatives dont il définissait au final les conditions de couverture", selon cette étude.

D'autres experts ont souligné que des chaînes comme CNN, Fox et MSNBC, qui peinent à revigorer leur audience, ont retrouvé des couleurs pendant cette campagne, principalement grâce à M. Trump.

'Contre-discours'

Dan Kennedy, professeur de journalisme à l'université de Northeastern, affirme cependant qu'il est injuste de critiquer les médias sur l'électorat, car la candidate démocrate Hillary Clinton va sans doute effectivement remporter l'élection en nombre de voix mais pas en nombre de grands électeurs, seuls à octroyer la victoire.

"Les médias ont fait plutôt du bon travail en soulignant les défauts de la personnalité de Donald Trump".

Mais, ajoute-t-il, le magnat de l'immobilier "a compris mieux que quiconque le rôle des médias dans la vie publique et a été capable de l'exploiter en sa faveur pour en devenir la star". "Les histoires ne parlaient que de lui".

Mais quand la presse s'est faite plus agressive à son encontre, concernant ses déboires financiers ou les femmes, Donald Trump a dénoncé des "mensonges" de médias "corrompus".

Une position qui épouse la méfiance de ses concitoyens à l'égard de la presse. Selon un sondage Gallup cette année, 32% seulement des Américains font confiance aux médias pour "donner des informations de manière complète, juste et précise".

Et même quand les grands médias ont assuré une couverture négative du candidat républicain, il s'est livré à un "contre-discours" notamment sur les réseaux sociaux, ce qui lui a permis d'amadouer des électeurs voire de les mobiliser.

Selon M. Wells, M. Trump maîtrise un "système médiatique hybride" associant événements publics et séries de tweets "qui poussent ses partisans à étendre son discours et à créer de nouvelles histoires sur les réseaux sociaux".

Il entrera à la Maison Blanche avec "une claire hostilité envers les journalistes en dépit de l'exposition médiatique sur laquelle il s'est appuyée", selon David Folkenflik, spécialiste des médias de la radio NPR.

Avec AFP