La présidentielle, boycottée par l'opposition, aura bien lieu jeudi au Kenya

Des électeurs regardent les noms sur un mur au bureau de vote de Kisumu, Kenya, le 6 août 2017.

L'élection présidentielle au Kenya, organisée à la suite de l'invalidation de la réélection en août du président Uhuru Kenyatta, se tiendra bien jeudi mais le scrutin, boycotté par l'opposition, pourrait plonger le pays dans une période de forte instabilité.

Riche en rebondissements, la saga de la présidentielle 2017 a fait mercredi un rapide détour par la Cour suprême, celle-là même qui avait pris la décision historique sur le continent d'invalider une élection "ni transparente, ni vérifiable".

Mais en moins de cinq minutes, le président de la plus haute juridiction du pays, David Maraga, a douché les espoirs de ceux qui souhaitaient un report de l'élection afin de laisser le temps à la Commission électorale (IEBC) de se réformer et de convaincre le leader de l'opposition, Raila Odinga, 72 ans, de revenir dans le jeu.

M. Maraga a expliqué que seuls deux des sept juges de la Cour suprême étaient en mesure de siéger: "Nous ne pouvons pas former un quorum (...) et l'affaire ne peut pas être entendue ce matin", a tranché le magistrat.

Un juge est malade, un autre n'a pu prendre un avion pour venir à Nairobi, deux "n'ont pas été capables de venir à la Cour", et la numéro 2 de la Cour suprême, Philomena Mwilu, ne pouvait être présente après que son garde du corps et chauffeur a été grièvement blessé par balle mardi, a-t-il expliqué.

Que va faire l'opposition jeudi?

Tous les regards sont désormais tournés vers Raila Odinga, déjà trois fois candidat malheureux à la présidence (1997, 2007, 2013), qui doit donner ses dernières consignes à ses partisans lors d'un rassemblement dans un parc de Nairobi mercredi après-midi.

Ce rassemblement est officiellement interdit - les autorités arguant que la campagne présidentielle est terminée depuis lundi soir et qu'il n'a pas été annoncé dans les formes au gouvernorat de Nairobi - et on ignorait à la mi-journée si la police interviendrait ou non pour le disperser.

M. Odinga avait appelé dans un premier temps à des manifestations le jour du scrutin, laissant craindre de nouvelles violences. Mais il a laissé entendre mardi qu'il pourrait finalement appeler ses supporteurs à rester chez eux.

Au moins 40 personnes ont été tuées depuis le 8 août, la plupart dans la répression brutale des manifestations par la police dans des bastions de l'opposition, selon les organisations de défense des droits de l'homme.

Le climat politique s'est nettement détérioré ces dernières semaines pour devenir délétère, les deux camps multipliant les invectives et les déclarations menaçantes.

Dénonçant des interférences politiques et des divisions sur des lignes partisanes, le président de l'IEBC, Wafula Chebukati, a récemment émis de sérieux doutes sur la possibilité d'avoir une élection crédible le 26 octobre.

La Commission est prête pour le scrutin d'un point de vue technique et logistique, a-t-il indiqué, et le dénouement de la crise politique actuelle ne tient selon qu'à la seule bonne volonté des deux principaux acteurs, MM. Kenyatta et Odinga.

Mais de dialogue il n'y a pas eu et quelque 19,6 millions d'électeurs inscrits sont appelés à se rendre aux urnes jeudi pour une élection qui devrait se résumer à un cavalier seul du sortant Kenyatta, fils du père de l'indépendance du pays, Jomo Kenyatta.

En l'absence de M. Odinga, les six autres petits candidats sont condamnés à jouer les faire-valoir.

Raila Odinga, lui-même fils d'un héros de l'indépendance, Jaramogi Oginga Odinga, s'était retiré de la course le 10 octobre, jugeant que les réformes susceptibles de garantir la tenue d'un scrutin libre et équitable n'avaient pas été menées à bien.

Lassitude et anxiété

L'IEBC a entrepris certaines réformes: le mode de transmission des résultats est différent, un de ses responsables a été mis sur la touche. Mais l'opposition estime que l'institution est toujours majoritairement acquise au parti au pouvoir.

Boycotté par l'opposition, le scrutin sera également en partie boudé par les observateurs internationaux: l'Union européenne et la Fondation Carter, citant des raisons de sécurité, ont réduit la taille de leur mission.

Dix ans après les pires violences post-électorales de l'histoire du Kenya indépendant (depuis 1963), qui avaient fait plus de 1.100 morts, la crise politique actuelle a plongé le pays dans une incertitude mêlée d'anxiété.

L'économie la plus dynamique d'Afrique de l'Est tourne au ralenti et de nombreux Kényans ne cachent pas leur lassitude face à cette période électorale prolongée.

Ahuya Achieng, 35 ans, agent de voyage, tue le temps en bavardant avec une amie sur un banc du centre-ville de Nairobi. "Oui, bien sûr, on en a assez ! Tout le monde dit qu'il faut que le pays aille de l'avant, mais pour aller où ?", lâche-t-elle.

Avec AFP