Tinubu élu: cruelle déception d'une partie de la jeunesse nigériane

Bola Ahmed Tinubu (en bleu, de dos) salue ses partisans après avoir voté à Ikeja, Lagos, Nigeria le 25 février 2023.

"Ils ont triché. Je déteste ce pays": quelques heures après l'élection de Bola Tinubu, le candidat du parti au pouvoir, à la présidence du Nigeria, le constat est amer pour Sam Nwajaku.

"On voit les mêmes vieux hommes politiques qui n'ont aucun intérêt pour nous", lâche ce peintre de 38 ans, assis devant un kiosque à Onitsha, dans le sud-est du Nigeria. Surnommé "le parrain" ou le "faiseur de roi" pour son influence considérable, M. Tinubu a été élu mercredi à 70 ans président du pays le plus peuplé d'Afrique.

La déception est tout aussi grande pour une partie de la jeunesse, lasse de l'élite nigériane vieillissante et réputée corrompue, qui s'était prise de passion pour la candidature de Peter Obi, l'outsider de cette présidentielle arrivé troisième avec 21% des voix. "Nous sommes dépités, je pensais vraiment que Peter Obi serait élu", lance Nikodemos Daniel, un taxi-moto de 27 ans, également à Onitsha, ville natale de M. Obi. Pour lui, "Tinubu est l'un des pires. C'est un homme corrompu et méchant".

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L'ascension politique de M. Tinubu a été rythmée par maintes accusations de corruption, sans qu'il ne soit jamais condamné et qu'il a toujours niées. Samedi, jour du scrutin, nombre de jeunes à travers le pays s'étaient mués en ardents défenseurs de leur démocratie, veillant jour et nuit, parfois sous la pluie, pour s'assurer du bon déroulement du vote et du dépouillement.

"Cette fois, on pensait que ce serait différent", se lamente Osaki Briggs, photographe de 25 ans de l'Etat voisin de Rivers. Mais ce processus, que beaucoup espéraient plus transparent avec l'expérimentation de nouvelles technologies, a été terni par d'énormes défaillances et, comme précédemment, par des accusations de fraude.

La Commission électorale "a échoué à faire de cette élection un scrutin transparent", renchérit Edwin Oluma, un étudiant de 22 ans à Abuja, la capitale fédérale, où Peter Obi a fait le meilleur score. "Personne n'est heureux. Nous allons certainement aller au tribunal", dit-il, en référence à l'opposition, qui après avoir exigé l'annulation du scrutin, pourrait très prochainement déposer un recours devant la justice pour contester les résultats.

"Japa"

A Rivers, dans le delta du Niger, région riche en pétrole et pourtant misérable, ravagée par la pollution, Jennifer Dike, 28 ans, est persuadée que le "parrain" a "acheté" sa victoire. Et pour elle, M. Tinubu ne peut pas être le président qui "délivrera" le Nigeria de la corruption, la faim ou la pauvreté. Le président sortant Muhammadu Buhari, 80 ans, a quant à lui salué mercredi cette victoire, affirmant que "le peuple avait parlé".

L'ancien général putschiste élu en 2015, puis réélu en 2019, quitte le pouvoir sous le feu des critiques alors que le pays fait face à des violences criminelles et jihadistes dans le nord et le centre, une agitation séparatiste dans le sud-est, une inflation galopante et un appauvrissement généralisé de la population, dont 60% a moins de 25 ans. M. Buhari a été beaucoup absent du pays, pour se soigner à l'étranger d'une maladie gardée secrète. Son successeur suscite aussi de nombreuses interrogations.

"Comment un homme malade qui ne peut pas se tenir debout tout seul ou faire un discours peut-il être déclaré vainqueur de la présidentielle ?", demande Jennifer, furieuse, à propos d'épisodes de tremblements remarqués lors de plusieurs apparitions publiques de Bola Tinubu ces derniers mois. "Je suis si triste, pas étonnant que les jeunes quittent le pays en grand nombre ces jours-ci."

Chaque année, de nombreux Nigérians décident de "japa", terme qui signifie "fuir" en yorouba, langue du sud-ouest. Et le fossé avec la classe dirigeante et la grave crise économique qui sévit, sur fond de pénuries d'essence et de billets de banque, accentuent encore un peu plus ce désir d'ailleurs. Durant cette campagne, de nombreux jeunes avaient affirmé à l'AFP qu'ils quitteraient le pays si Peter Obi n'était pas élu.

Même si ailleurs, comme à Kano, deuxième ville du pays, très conservatrice, la défaite de l'outsider Peter Obi, de l'ethnie Igbo et chrétien, laisse de nombreux jeunes indifférents. A Onitsha, son fief où il est porté en sauveur, Chukwu Michael, un vendeur de produits cosmétiques, veut encore y croire: si en 2027 "Peter Obi est candidat, alors il gagnera".