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Les investisseurs étrangers cibles de la colère des Oromo en Ethiopie


Des manifestants courent après que la police a tiré du gaz lacrymogène lors de l’Irreecha, fête des actions de grâce du peuple Oromo à Bishoftum, dans la région d'Oromia, Ethiopie, 2 octobre 2016.
Des manifestants courent après que la police a tiré du gaz lacrymogène lors de l’Irreecha, fête des actions de grâce du peuple Oromo à Bishoftum, dans la région d'Oromia, Ethiopie, 2 octobre 2016.

Quand la ferme néerlandaise du village voisin a été attaquée, Marc Driessen scrutait avec effroi la fumée de l'incendie s'élever à l'horizon, debout devant des rangées de panneaux solaires récemment installés pour 600.000 euros.

"J'étais terrifié. Je pouvais voir AfricaJuice partir en fumée et nos contacts là-bas nous disaient que notre ferme serait très probablement la cible suivante. Je me suis dit, c'est fini!", se rappelle le directeur de Maranque, une ferme horticole néerlandaise isolée le long d'une longue route caillouteuse difficilement praticable, à une cinquantaine de kilomètres d'Adama, au sud d'Addis Abeba.

On est là au coeur de la région oromo qui s'est embrasée après le drame du festival oromo d'Ireecha, le 2 octobre. Une bousculade provoquée par des tirs de gaz lacrymogènes de la police a fait au moins 55 morts selon le bilan officiel - des centaines selon les opposants. Une des employées de Maranque figurait parmi les victimes.

Marc Driessen poursuit sa description. Rapidement, plusieurs centaines de manifestants brandissant bâtons, pierres et "quelques armes à feu" se massent devant les grilles de Maranque. Les employés qui tentent de s'interposer sont vite débordés. Le salut viendra des aînés du village, dépêchés sur place, telle la cavalerie, sur des mobylettes.

"On s'est mis en travers des manifestants et nous leur avons dit: +Maranque appartient au village, ne la brûlez pas! Cela ne changera pas le gouvernement. C'est nous que vous allez détruire plutôt que cette ferme+. Et nos jeunes sont partis", raconte Shumi Telila, un des anciens du village d'Alaga Dore, dont plus de 800 habitants travaillent chez ce producteur de fleurs.

Dans les jours qui ont suivi le drame du festival d'Ireecha, des manifestants exaltés par près d'un an de contestation en région oromo s'en sont pris aux symboles de l'Etat éthiopien: bâtiments publics, entreprises étrangères, etc.

"Cinq jours de colère", décrétés par des activistes de la diaspora, qui ont fait trembler le régime éthiopien et abouti, le 9 octobre, à l'instauration de l'état d'urgence pour six mois sur l'ensemble du territoire. Du jamais vu en Ethiopie depuis la chute de la dictature communiste de Mengistu Haile Mariam (1974-1991).

- Spectacle de désolation -

"C'était comme une guerre!", commente Abraham Negussie, un des employés d'AfricaJuice. La ferme fruitière a été attaquée par plusieurs milliers d'hommes, certains armés de kalachnikovs, assurent des témoins de la scène. "Ils ont dit qu'ils ne voulaient blesser personne, seulement détruire complètement la propriété", ajoute Abraham.

Le pillage a laissé un spectacle de désolation: entrepôts détruits, matériel et véhicules brûlés. Plusieurs tonnes de fruits de la passion pourrissent à l'extérieur faute de pouvoir être transformés en jus à destination des tables européennes. Au moins deux autres entreprises étrangères situées sur la même route ont été attaquées pendant cette flambée de violence.

Le calme est revenu dans cette campagne éthiopienne rongée par le ressentiment des Oromo à l'égard d'un pouvoir central qu'ils jugent dominé par la minorité des Tigréens. Des blocs de pierres avec lesquels les manifestants ont érigé des barrages jonchent encore la route sur laquelle patrouillent de nombreux militaires.

En Ethiopie depuis 12 ans, Marc Driessen est convaincu que les liens patiemment tissés avec la communauté ont payé. "Nous avons construit une conduite d'eau pour le village. Nous avons cimenté le sol de l'école et réparé leur générateur électrique", détaille ce patron à la fibre sociale en faisant visiter les serres où poussent les plants de chrysanthèmes, dahlias, lavande qui partent chaque jour vers l'Europe.

"Nous sommes au coeur de l'Afrique et nous devons faire ce qu'on peut pour aider les gens qui nous entourent", ajoute-t-il.

L'entrepreneur s'est installé en Ethiopie attiré par des coûts de production au plus bas et le "climat idéal" de ces terres dominées par l'imposante chaîne de montagnes de la vallée du Rift où les plants de maïs peuvent pousser "jusqu'à 9 cm par jour!". Son entreprise a déjà investi 10 millions d'euros.

Et si Maranque avait brûlé? "Selon l'étendue des dégâts, nous aurions décidé de rester ou pas", avance t-il, reconnaissant que les événements des dernières semaines risquent d'avoir "un impact dramatique sur les nouveaux investisseurs".

Avec AFP

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