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Les familles des soldats disparus face au silence de l'armée au Nigeria


Des soldats nigérians patrouillent dans l'Etat de Borno, près de Marte, au Nigeria, le 5 juin 2013.
Des soldats nigérians patrouillent dans l'Etat de Borno, près de Marte, au Nigeria, le 5 juin 2013.

Le vieil homme se souvient exactement du jour où il a parlé à son fils pour la dernière fois. C'était le 26 août. Son enfant, comme des dizaines d’autres soldats postés dans le nord-est du Nigeria, au coeur de l’insurrection de Boko Haram, a disparu. Et depuis l’armée garde le silence.

"Je n'avais pas de nouvelles depuis deux semaines, j'étais très, très inquiet", raconte-t-il à l'AFP. L’armée lui a alors appris que son fils aîné avait été victime d’une attaque du groupe jihadiste, mais n’a pas su lui dire s’il avait été tué ou s’il avait été enlevé par les insurgés.

Les corps n’ont vraisemblablement jamais été identifiés. L’armée n’a pas révélé non plus où s'étaient déroulés les combats.

"La dernière fois où il m'a appelé, il avait une carte SIM du Niger, donc j'imagine qu'il était près de la frontière", rapporte cet homme qui témoigne sous couvert d'anonymat, comme toutes les autres familles de soldats, désemparées dans l'attente de nouvelles de leur proches.

Expérience douloureuse

Il est fort probable que ce soldat ait été tué à Zari, dans l'extrême nord de l'Etat du Borno, le 30 août dernier.

Le groupe de l'Etat islamique en Afrique de l'Ouest (ISWAP) a tué au moins 48 soldats sur cette base militaire, à la frontière avec le Niger, selon l'AFP.

L'armée nigériane avait rejeté ces informations quelques jours plus tard.

"Je dois encore recevoir le rapport statuant sur le nombre de victimes, s'il y en a eues. Je ne peux donc rien confirmer mais je pense que c'est totalement faux", avait aussitôt réagi le colonel Nwachukwu, un porte-parole de l'armée nigériane.

Aucun rapport officiel n'a, depuis, été publié.

Fin septembre, la famille du soldat disparu a été invitée à assister à des obsèques militaires dans le Borno, mais "les corps avaient déjà été enterrés et on ne sait toujours pas s'il en faisait partie", regrette le père de famille.

"Il ne nous reste plus que la prière", confie-t-il, la voix nouée par l'émotion. "C'est une expérience très douloureuse".

"Lorsqu'il y a une attaque, les familles sont informées immédiatement", affirme de son côté le porte-parole de l'armée John Agim.

"Si le soldat est porté disparu, elles continuent à percevoir son salaire. Et après un an, si le pire est arrivé, elles reçoivent sa pension", maintient M. Agim, rejetant tout retard de la procédure.

Militaire de père en fils

Orin, lui, a attendu deux ans et demi avant d'apprendre officiellement que son frère avait été tué dans une embuscade tendue par Boko Haram en novembre 2015.

Sa famille n'a toujours pas reçu sa pension, et son unique fils attend toujours la bourse scolaire réservée aux enfants de soldats.

"Mais le pire, c'est que nous n'avons jamais pu l'enterrer", souffle son frère aîné.

Dans la famille d'Orin, pourtant, on est militaire de père en fils.

"Mais (...) j'ai tellement de membres de ma famille ou de mes amis qui sont morts, que je ne voudrais jamais que mon fils soit dans l'armée nigériane, c'est horrible", souffle-t-il.

Malgré les déclarations officielles, le nord-est du Nigeria est toujours en proie à de violents combats. Le conflit a fait plus de 27.000 morts depuis 2009, et près de 2 millions de personnes ne peuvent toujours pas regagner leur foyer dans la région du Lac Tchad.

Ces derniers mois, l'ISWAP a mené de très lourdes attaques contre des cibles militaires, faisant des dizaines de morts. Certaines sources parlent de plusieurs dizaines de morts en juillet à Jilli, sans que le bilan ait pu être confirmé par l'AFP.

"Comme l'armée nigériane cherche à tout prix à prétendre que tout va bien, une politique informelle du silence est imposée", analyse Yan St-Pierre, conseiller en contre-terrorisme pour le cabinet Mosecon.

"C'est aussi (...) la négligence complète vis-à-vis des besoins des soldats qui a mené à cette vague de meurtres", estime-t-il.

Le président Muhammadu Buhari, un ancien général, avait pourtant promis de mettre fin au conflit de Boko Haram en arrivant au pouvoir en 2015. La victoire, selon lui, impliquait de mieux organiser l'armée et de la débarrasser de sa corruption rampante.

Conserves de tomates

Mais après neuf ans de conflit, les soldats sont exténués et semblent toujours livrés à eux-mêmes.

De nombreux officiers ne rapportent pas les pertes au sein de leurs troupes pour continuer à percevoir les soldes quotidiennes, mais aussi leur équipement ou leur nourriture.

"Mon fils se plaignait déjà de ne pas recevoir assez à manger", rapporte le vieil homme sans nouvelles de lui depuis des semaines. "Il achetait des haricots secs et des conserves de tomates pour se nourrir pendant les missions".

Les familles, de leur côté, prient parfois en silence pour que leur enfant soit toujours en vie et qu'elles n'aient jamais à attendre une hypothétique pension.

Car signaler sa disparition aux autorités peut vouloir dire tirer un trait sur son maigre salaire (49.000 nairas par mois, 117 euros, pour un deuxième classe): un pari risqué dans un pays où des millions de personnes vivent dans une extrême pauvreté.

Avec AFP

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