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Printemps arabe: 10 ans après, une deuxième vague de révoltes


Des étudiants portent des banderoles et scandent des slogans lors d'une manifestation à Alger, en Algérie, le mardi 9 avril 2019.
Des étudiants portent des banderoles et scandent des slogans lors d'une manifestation à Alger, en Algérie, le mardi 9 avril 2019.

Dix ans plus tard, une grande partie des espoirs nés du Printemps arabe semblent s'être évanouis. Mais la deuxième vague de révoltes qui a éclaté en 2019 a démontré que la flamme révolutionnaire n'était pas totalement éteinte.

Algérie, Soudan, Liban et Irak: quatre pays de la région peu touchés en 2011 par le souffle du Printemps arabe. Mais quatre nations qui ont été, l'an dernier, le théâtre de puissants mouvements de contestation, avec parfois à la clé la chute de vieux autocrates. Comme un goût de déjà vu, avec des slogans qui font écho à ceux de la première génération.

Cette nouvelle "vague (...) a démontré que le Printemps arabe n'était pas mort", dit à l'AFP Asef Bayat, expert des révolutions dans le monde arabe.

Ce printemps "a gagné d'autres pays de la région, avec des répertoires d'actions collectives relativement similaires", ajoute le politologue.

"Thawra" ("révolution"), "Le peuple veut la chute du régime"... Après la Tunisie, l'Egypte, la Syrie, la Libye ou le Yémen, les places d'Alger, de Khartoum, de Beyrouth ou de Bagdad ont connu les mêmes cris de ralliement, fustigeant une répartition inégale des richesses et la corruption de pouvoirs autoritaires.

Mêmes causes, mêmes effets: des gouvernements qui tombent et des présidents destitués sous la pression populaire.

"2011 a accouché de 2019, et 2019 entraînera une autre vague de manifestations", prédit Arshin Adib-Moghaddam, de l'université londonienne SOAS, School of Oriental and African Studies.

Algérie

Des manifestations avaient éclaté en janvier 2011 contre la cherté de la vie.

Mais le traumatisme d'une sanglante guerre civile (1992-2002) est encore présent, et la crainte d'une nouvelle descente aux enfers est un puissant inhibant.

"Nous avons suivi avec enthousiasme les manifestations en Tunisie, en Egypte, en Syrie, mais nous avions peur", explique Zaki Hannache, militant de 33 ans.

A l'époque, le pouvoir dispose en outre d'une rente financière, tirée de l'or noir, et apaise les tensions sociales en réduisant les taxes sur les produits alimentaires.

En février 2019, la situation paraît bien différente. Le ras-le-bol est à son comble, et avec la chute des cours du brut, les caisses sont vides.

Quant à Abdelaziz Bouteflika, au pouvoir depuis deux décennies, il est octogénaire et aphasique depuis un AVC en 2013.

Sa volonté d'être candidat pour un cinquième mandat est l'humiliation de trop pour une population qui se croyait résignée.

Le 22 février est le théâtre de premières manifestations massives, qui s'étendent d'Alger, où tout rassemblement est interdit depuis 2001, au reste du pays.

Le "Hirak" (mouvement) est né. L'autocrate tombera: l'armée retire son soutien à M. Bouteflika, qui démissionne le 2 avril.

Le départ du "clan Bouteflika" provoque l'euphorie. Mais les militants sont conscients que le chemin reste long: c'est l'ensemble du système qui cadenasse le pouvoir depuis l'indépendance en 1962 qu'ils veulent abattre.

Les manifestations hebdomadaires se poursuivent, inlassablement, des mois durant. Le régime, un temps représenté par le chef d'état-major de l'armée, Ahmed Gaïd Salah, ne lâche pas prise: une présidentielle est organisée, malgré le rejet populaire. Pur produit de l'appareil d'Etat, Abdelmadjid Tebboune est - mal - élu.

Il faudra l'émergence de la pandémie de Covid-19 pour venir à bout de la mobilisation de rue - en mars 2020, elle est suspendue.

Mais en dépit de la répression judiciaire, l'esprit du Hirak flotte toujours dans les rues d'Alger et en Kabylie. Et son caractère profondément pacifique aura marqué les observateurs.

Dans une Algérie déjà meurtrie par une guerre civile, les militants n'ont pas oublié la Syrie, où les manifestations prodémocratie de 2011 ont cédé le pas sous le coup de la répression à un conflit sanglant.

"Nous avons tiré des leçons du Printemps arabe", résume M. Hannache. "Nous avons appris que la seule option était de préserver le caractère pacifique du mouvement".

Manifestation à Rabat pour réclamer la libération des détenus du Hirak
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Irak

Quand éclate le Printemps arabe, l'Irak est depuis longtemps débarrassée de son propre homme fort, l'invasion américaine ayant renversé Saddam Hussein en 2003. Sa chute a été suivie d'un conflit confessionnel sanglant.

"Nous avons vu dans les soulèvements du Printemps arabe une opportunité pour sauver la démocratie en Irak", relève toutefois Ali Abdulkhaleq, militant et journaliste de 34 ans.

En février 2011, il participe à la création du mouvement "Jeunesse de février", qui organise des manifestations hebdomadaires à Bagdad, dénonçant le gouvernement de Nouri al-Maliki.

"Le peuple réclame une réforme du régime", scande la foule, faisant écho aux slogans du Caire et de Tunis - sans toutefois réclamer la chute du pouvoir.

Le mouvement s'essouffle en quelques mois, mais "les gens ont réalisé que manifester était une possibilité", dit M. Abdulkhaleq, selon qui "une rage irakienne s'est libérée".

Des manifestations secouent sporadiquement le pays, jusqu'à l'explosion de colère d'octobre 2019.

Le soulèvement gagne tout le pays, réclamant cette fois un changement de régime et forçant à la démission le gouvernement d'Adel Abdel Mahdi.

Après des mois de mobilisation massive, le mouvement s'essouffle, avec une répression implacable - près de 600 manifestants sont tués - et la pandémie.

Mais "les paramètres qui pourraient provoquer une nouvelle révolution sont toujours là", avertit M. Abdulkhaleq.

Soudan

Dès 2011, de jeunes militants s'organisent pour lancer des petites manifestations, ici et là, malgré les arrestations.

Car Omar el-Béchir tient depuis 1989 d'une main de fer un pays vivant dans une extrême pauvreté, déchiré par des guerres civiles à répétition, isolé diplomatiquement et où l'opposition politique est affaiblie.

En 2013, quand Khartoum supprime des subventions sur le pétrole, des manifestations éclatent. Elles seront réprimées dans le sang.

"La rue s'était résignée, malgré le début d'un effondrement économique", indique le militant Mohamed al-Omar. Mais "le cercle de l'opposition au régime a commencé à s'élargir", poursuit M. Omar, qui a connu la prison pour son militantisme.

Cinq ans plus tard, en décembre 2018, le triplement du prix du pain provoque de nouvelles manifestations. Cette mobilisation sera la bonne.

Le 11 avril 2019, Omar el-Béchir, ancien militaire arrivé au pouvoir par un coup d'Etat, est assigné à résidence par l'armée.

Comme en Algérie, la lutte continue pour que la révolte obtienne le départ de l'Etat profond. Illustrant une transition houleuse, un sit-in de plusieurs mois à Khartoum visant à faire pression sur les militaires au pouvoir est brutalement dispersé le 3 juin.

Des dizaines de personnes sont tuées, faisant craindre le retour d'une contre-révolution, semblable à celle vécue en Egypte après le Printemps arabe de 2011.

Mais l'effet inverse se produit: sous pression, l'armée finit par signer, en août, un compromis avec la contestation. Le pays se dote d'un Conseil souverain mixte pour superviser une transition sur trois ans vers un régime civil.

Citant notamment le rôle clé des syndicats, M. Omar juge que "le mouvement au Soudan était bien plus organisé" que la plupart des soulèvements du Printemps arabe.

Liban

Au Liban, avec un régime politique censé garantir le partage du pouvoir entre différentes communautés religieuses, ce sont les mêmes familles qui s'accaparent la sphère publique depuis des décennies.

La classe politique reste dominée par les seigneurs de la guerre civile de 1975-1990.

"Quand j'ai vu qu'en Tunisie et en Egypte il y avait du changement, je me suis demandé: 'Pourquoi cela n'arriverait pas au Liban?'", se souvient Imad Bazzi, dont l'engagement remonte à la fin des années 1990.

En février 2011, au chômage, il participe à l'organisation de manifestations, sans réel changement toutefois.

Mais la colère ne fait que sommeiller dans un Liban abonné aux crises politiques, miné par des écarts de richesse grandissants.

En 2015, l'amoncellement des déchets dans les rues de Beyrouth, dû à une mauvaise gestion, entraîne des manifestations dénonçant l'ensemble de la classe politique.

En octobre 2019, l'étincelle de la "révolution" finit par prendre.

Le déclencheur? L'adoption par les autorités d'une nouvelle taxe sur l'utilisation de WhatsApp, dans un pays où pointent les premiers signes d'un effondrement économique.

"Thawra!": des semaines durant, les manifestants battent le pavé, réclamant le départ d'une classe politique jugée corrompue et incompétente. Ils sont parfois des centaines de milliers, de toutes confessions, une source de fierté dans ce pays fragmenté.

Sous pression, le Premier ministre Saad Hariri démissionne. Mais, un an plus tard, les mêmes politiciens s'agrippent toujours au pouvoir.

Pire, les maux - corruption, incompétence - fustigés par les manifestants trouvent une concrétisation dramatique dans l'explosion du 4 août au port de Beyrouth, où était stockée depuis des années une énorme quantité de nitrate d'ammonium, au mépris des risques.

En octobre, ce n'est autre que M. Hariri qui est de nouveau désigné pour diriger un nouveau gouvernement. Tout un symbole.

Pour les militants, malgré l'essoufflement, le soulèvement n'a pourtant pas été vaincu.

"C'est un processus continu", assure M. Bazzi. "Les vagues viennent, les unes après les autres, elles sont toutes connectées".

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