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L'attaque de Gaskindé au Burkina, catalyseur du coup d'Etat


Le capitaine Ibrahim Traoré a en partie justifié son putsch par la "dégradation sécuritaire continue".
Le capitaine Ibrahim Traoré a en partie justifié son putsch par la "dégradation sécuritaire continue".

Sa voix forte et assurée devient fluette à l'heure de raconter ce qu'il s'est passé sur la route nationale 22 au niveau de Gaskindé, dans le nord du Burkina Faso en guerre, le 26 septembre, lors de l'attaque d'un convoi de dizaines de camions chargés de vivres.

Aziz, dont le prénom a été modifié pour sa sécurité, était au volant de son camion chargé de riz et de sorgho à l'arrière d'un convoi de 207 véhicules, sécurisé par des soldats, quand les tirs ont crépité.

L'attaque, revendiquée par Al-Qaïda, a officiellement fait 37 victimes, dont 27 militaires. 70 conducteurs de camions restent disparus, selon leur syndicat.

Enième attaque dans une région du Sahel meurtrie depuis dix ans par la violence jihadiste, Gaskindé est un nouveau symbole de l'impuissance des Etats à contrôler leurs campagnes reculées et sécuriser leurs populations.

Cinq jours plus tard, un putsch militaire, le cinquième en deux ans dans la région, balayait le pouvoir en place à Ouagadougou. Les témoignages recueillis par l'AFP racontent l'incurie de l'armée et le quotidien des civils pris entre les feux de la guerre.

Les camions étaient partis de Ouagadougou à destination de Djibo, l'une des principales villes du nord du Burkina, soumise depuis dix-huit mois à un blocus jihadiste.

Pour imposer leur présence et leur loi, les jihadistes ont maintes fois éprouvé la stratégie du blocus pour soumettre les populations rurales. Au Mali voisin, de nombreux villages ont dû courber l'échine.

"Débandade"

A Djibo, où vivent environ 300.000 personnes dont une majorité de déplacés, cela fait deux ans que la pression s'accentue. La population a plus que triplé avec les arrivées de déplacés. Les militaires burkinabè, parfois assistés par les forces spéciales françaises, ont épisodiquement tenté de rompre le blocus.

Pour éviter la famine qui guette en ville où presque plus aucune denrée n'entre ou ne sort, l'armée a entrepris de sécuriser de longs convois de ravitaillement. A celui de la fin septembre s'étaient greffés, raconte Aziz, des dizaines de commerçants et d'autres civils.

Une première mine a été découverte et évitée sur la route, raconte un militaire gradé présent dans le convoi. Quelques tirs de harcèlement ont ponctué le début du trajet. Mais tout a basculé en quelques secondes au niveau de Gaskindé, à 15h00 (locales et GMT).

"Je n'ai jamais vu une attaque de cette envergure", raconte le militaire. Il décrit les mitrailleuses lourdes montées sur des pick-ups, les dizaines de motos. "Ca a duré plusieurs heures, on a essayé de sortir les civils mais on était débordés, sans soutien aérien", dit-il. "Ils avaient une puissance de feu largement supérieure".

"C'était le sauve qui peut, la débandade", raconte de son côté Rabo Brahima, président de l'Union des chauffeurs routiers du Burkina (UCRB). Une frappe de drone a "évité que plus de gens meurent", affirme le militaire, mais sur laquelle rien n'a officiellement filtré.

En fin de convoi, Aziz, apeuré, fait demi-tour et rallie la première ville. Un autre chauffeur, en tête de convoi, n'a pas eu cette chance. Il raconte à l'AFP avoir passé plus de quatre heures dans les broussailles, vu des hommes tomber sous les balles, et marché 27km jusqu'à une localité où il est arrivé vers 18h.

Son camion a été brûlé par les assaillants comme plus de cent autres. Les vidéos prises par des chauffeurs et d'autres civils rescapés, montrent une longue colonne de feu sur la nationale 22. Seuls 70 des 207 camions ont pu être sauvés, selon M. Rabo.

"Abattoir"

L'affaire fait vite grand bruit à Ouagadougou. Un premier bilan fait état de 11 morts et 50 disparus. Il évolue rapidement. La presse s'interroge et le débat gronde: est-ce une défaillance militaire? Pourquoi un hélicoptère de soutien a fait demi-tour au début de l'attaque?

Le consultant en sécurité Mahamoudou Savadogo et une source militaire affirment que certains militaires avaient exprimé leur désaccord au départ de ce convoi.

L'attaque, selon lui, a été "la goutte d'eau qui a fait déborder le vase" au Burkina, où le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba renversé, avait promis lors de son coup d'Etat en janvier de reprendre l'ascendant sur les jihadistes.

Envoyer "un tel convoi" sur "l'axe de la mort" qu'est la route ralliant Djibo, était comme "envoyer les hommes à l'abattoir", selon le consultant. Le capitaine Ibrahim Traoré a en partie justifié son putsch par la "dégradation sécuritaire continue".

Djibo a été ravitaillé depuis par l'armée en hélicoptère: 70 tonnes de nourriture y ont été acheminées pour pallier l'urgence. Le dernier convoi arrivé à Djibo date de début septembre. Sur le chemin du retour, un car de civils avait explosé sur une mine artisanale, tuant 35 civils.

Vendredi, une cérémonie de décoration à titre posthume et d'inhumation des militaires tombés à Gaskindé a été annoncée à Ouagadougou. "Et nous les civils, aura-t-on une aide et une reconnaissance de l'Etat?" s'interroge un chauffeur.

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