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Les poursuites contre une société française pour complicité de torture en Libye au point mort


Le président libyen Mouammar Kadhafi (à dr.) et son homologue français Nicolas Sarkozy au palais Bab Azizia à Tripoli, Libye, le 25 juillet 2007. (REUTERS/Pascal Rossignol/archives)
Le président libyen Mouammar Kadhafi (à dr.) et son homologue français Nicolas Sarkozy au palais Bab Azizia à Tripoli, Libye, le 25 juillet 2007. (REUTERS/Pascal Rossignol/archives)

La société Amesys est poursuivie en justice pour avoir fourni un logiciel qui a permis à feu Mouammar Kadhafi d'espionner ses adversaires.

La société française Amesys s'est-elle rendue complice de torture en Libye sous le régime de Mouammar Kadhafi en lui vendant du matériel de cybersurveillance ? Ouverte à Paris il y a près de huit ans, l'enquête s'enlise, provoquant la colère des parties civiles.

"Je pensais que les procédures judiciaires étaient plus rapides en France", s'étonne Alsanosi Fonaas, un opposant qui a passé 89 jours dans une geôle libyenne fin 2009-début 2010.

Cet homme de 41 ans, qui communiquait avec d'autres militants libyens via Facebook ou Skype, a raconté notamment avoir été battu avec des câbles électriques ou un gourdin en détention, selon son audition fin 2015 chez le juge d'instruction, consultée par l'AFP.

Auparavant, au moins cinq autres victimes, détenues début 2011, avaient raconté en 2013 au magistrat avoir été interrogées sur leurs correspondances interceptées par les services libyens, notamment sur Facebook.

Au coeur des soupçons se trouve le programme Eagle, développé par la société française d'ingénierie Amesys, spécialement pour l'Etat libyen.

Cette dernière a été placée, en mai 2017, sous le statut de témoin assisté, intermédiaire entre celui de témoin simple et celui de mis en examen. Depuis, à l'exception de quelques auditions de témoins, les investigations sont au point mort.

"Nous sommes dans ce que la jurisprudence considère comme un délai déraisonnable", estime Me Patrick Baudoin, qui défend plusieurs parties civiles dans ce dossier.

Pourtant, "on a vraiment la preuve que le matériel de surveillance fourni en toute connaissance de cause à Kadhafi a été utilisé pour enfermer et torturer des opposants", affirme-t-il, s'étonnant qu'il n'y ait eu aucune mise en examen.

L'affaire avait éclaté en 2011, quand des journalistes du Wall Street Journal avaient découvert qu'Amesys, rachetée par Bull en janvier 2010, avait équipé le centre de surveillance d'internet de Tripoli avec un système d'analyse du trafic internet (DPI), permettant de contrôler les messages qui s'échangent.

Amesys avait alors avait reconnu avoir fourni au régime de Kadhafi du "matériel d'analyse" portant sur des "connexions internet", tout en rappelant que le contrat avait été signé dans un contexte de "rapprochement diplomatique" avec la Libye, sous la présidence de Nicolas Sarkozy.

"Tout détruire"

Après un premier classement sans suite, la Fédération internationale des droits humains (FIDH) qui avait déposé plainte pour complicité de torture, avait finalement obtenu qu'un juge mène l'enquête.

Les dirigeants d'Amesys avaient-ils conscience que leur logiciel serait utilisé à de telles fins?

Onze employés d'Amesys ont été placés en garde à vue et relâchés sans poursuites fin 2016, tandis que les principaux responsables de la société, ainsi que le sulfureux intermédiaire franco-libanais Ziad Takkiedine, ont été entendus comme témoins simples.

"L'Etat Libyen avançait toujours la lutte contre le terrorisme et la sécurité du territoire", a déclaré aux enquêteurs en février 2017 Philippe Vannier, patron de la société jusqu'à 2010. Selon lui, il n'était pas question de traquer les opposants ni de se servir du logiciel pour la politique intérieure.

C'est lui qui a négocié en 2006 le contrat d'un peu plus de 15 millions d'euros avec notamment l'ex-chef des services secrets Abdallah al-Senoussi, condamné en France par contumace à la prison à vie pour l'attentat du DC-10 d'UTA en 1989 qui avait fait 170 morts.

Elément troublant, tous les documents contractuels ont disparu. "Nous les avons cherchés, mais nous ne les retrouvons pas et ce n'est pas faute d'avoir essayé", a affirmé M. Vannier.

Une version contredite par le directeur commercial d'Amesys à l'époque des faits, Stéphane Salies.

"A vrai dire, fin 2011 début 2012, Philippe Vannier nous a demandé de tout détruire", a-t-il déclaré aux enquêteurs.

Ce dernier a racheté en 2012 le fonds de commerce d'Amesys, dont le programme Eagle, et créé une nouvelle société, Nexa Technologies. Celle-ci est visée depuis 2017 par une nouvelle enquête, également sur des soupçons de complicité de torture, mais en Egypte, pour avoir vendu le logiciel au régime d'Abdel Fatah al-Sissi pour l'aider à traquer ses opposants.

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