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Balloté par la guerre au Soudan du Sud, Emmanuel retrouve enfin sa mère


Des réfugiés fuient la violence au Soudan du Sud, traversent la frontière en Ouganda où ils attendent un moyen de transport pour la ville Koboko (en Ouganda), 6 janvier 2014.
Des réfugiés fuient la violence au Soudan du Sud, traversent la frontière en Ouganda où ils attendent un moyen de transport pour la ville Koboko (en Ouganda), 6 janvier 2014.

L'étreinte est longue, émouvante, maladroite: Jorgina, des larmes pleins les yeux, peine à serrer son fils Emmanuel dans ses bras tant celui-ci a grandi depuis que le conflit au Soudan du Sud les a séparés.

C'était il y a plus de trois ans et demi. Longtemps sans nouvelles de sa famille, le jeune homme de 17 ans qui mesure désormais 2 mètres vient de retrouver sa mère, elle-même déplacée par la guerre, dans son Etat natal de l'Upper Nile, frontalier du Soudan.

La guerre civile au Soudan du Sud, déclenchée en décembre 2013 deux ans et demi après l'accession du pays à l'indépendance, a fait des dizaines de milliers de morts et poussé plus de 3,7 millions d'habitants à fuir leurs foyers : 1,8 million sont réfugiés dans les pays voisins.

Elle a également disloqué des milliers de familles qui, prises dans les combats et les mouvements de fuite, ont perdu de vue un parent, souvent un enfant.

Fin 2013, Emmanuel suivait sa scolarité à Malakal, alors deuxième ville du pays, non loin du berceau familial de Kodok où se trouvaient ses parents.

Le 24 décembre, quelques jours après le début des hostilités opposant les troupes du président Salva Kiir à celles de son ex-vice-président Riek Machar, il fuit une offensive rebelle sur Malakal.

Personne à la maison

"J'ai marché jusqu'à Kodok. Ça m'a pris deux jours et là j'ai retrouvé ma famille", raconte Emmanuel, filiforme jeune homme au visage juvénile.

Peu de temps après son retour - Emmanuel ne sait plus exactement combien de jours - "on m'a envoyé faire des courses au marché et quand je suis rentré à la maison, mes parents et mes proches n'y étaient plus".

La petite ville bruissait alors de rumeurs sur l'imminence d'une offensive et sa famille, comme de nombreux habitants, venait de fuir précipitamment.

"Je suis resté trois jours à la maison mais personne ne s'est présenté". Alors Emmanuel est reparti à Malakal et, sur la foi d'un témoignage suggérant que ses parents avaient peut-être gagné la capitale, est parvenu à monter à bord d'un avion du gouvernement, direction Juba. L'avion apportait de la nourriture à Malakal, repassée sous contrôle gouvernemental, mais repartait à vide et, moyennant une petite somme que lui avait confiée un parent éloigné, il avait pu monter à bord.

Arrivé à Juba, il entre en contact avec une connaissance de Kodok, qui à son tour le met rapidement en lien avec Lena Ngor, issue comme lui de l'ethnie Shilluk.

"Je l'ai d'abord appelé pour lui dire que j'allais essayer de trouver sa famille. Et quand j'ai vu que je n'y arrivais pas, je lui ai dit de venir s'installer chez nous", explique la jeune femme de 34 ans.

C'est chez cette ancienne journaliste devenue entre-temps secrétaire qu'Emmanuel a vécu, installé dans une grande tente au milieu d'un jardinet jouxtant une modeste maison en dur.

"Je n'ai pas réussi à lui payer des études", regrette celle qui pourvoit aux besoins de ses quatre enfants et de sa mère réfugiés à Khartoum.

C'est toutefois grâce à Lena, via un de ses collègues de travail, que sera localisée courant mars la famille d'Emmanuel, entre-temps revenue à Kodok.

Le Comité international de la Croix-Rouge prend alors le relais. Entre autres interventions dans le pays, le CICR oeuvre à restaurer les liens familiaux. Début juin, l'organisation comptait 1.800 dossiers de personnes recherchées par leurs proches, un nombre deux fois plus important que l'année précédente, notamment en raison de la propagation du conflit dans les Etats méridionaux d'Equatoria.

"En général, nous parvenons à renouer le contact pour la moitié des cas. Mais nous n'organisons des réunifications familiales que pour un tout petit nombre, à savoir pour les plus vulnérables", explique Celine Croon, coordinatrice adjointe du programme.

C'est le plus souvent par téléphone que les familles dispersées maintiennent le contact, comme en témoignent les 33.000 appels passés depuis le début de l'année via ce programme.

'Heureuse et légère'

Emmanuel, mineur isolé, déscolarisé et donc vulnérable, devait retrouver sa famille plus tôt cette année mais une offensive de l'armée sud-soudanaise (SPLA) a de nouveau conduit les habitants de Kodok, dont sa mère, à fuir la localité fin avril.

Interrogée la veille du départ d'Emmanuel, Lena faisait part de sentiments ambivalents à l'idée de voir partir son "petit frère": "il va me manquer. Il m'aidait bien. J'espère qu'un jour je rencontrerai son père et sa mère".

Début juin, Emmanuel a finalement gagné Aburoc, un village abritant plus de 10.000 déplacés, et c'est au bord d'une piste d'atterrissage sommaire que le garçon a retrouvé sa mère et son oncle paternel.

"Je ne savais pas si je le reverrais un jour, à cause de la guerre. J'ai deux enfants seulement. Et maintenant qu'il est là, toutes les mauvaises choses se sont envolées. Je me sens tellement heureuse et légère", témoigne la maman, Jorgina Pagam Obur.

"La priorité pour Emmanuel, c'est de retourner à l'école. Nous en chercherons une pour lui au Soudan, où j'ai l'intention de me rendre", ajoute-t-elle.

Car s'il a retrouvé sa famille, l'avenir demeure plus que précaire pour le jeune homme, passé du statut de mineur isolé à celui de déplacé et, peut-être bientôt, de réfugié.

Avec AFP

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