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A Madagascar, après le calvaire des fistules, des patientes réapprennent la vie


Des femmes et des enfants malgaches attendent dans une clinique improvisée à Antanetikely, Madagascar, le 23 octobre 2007.
Des femmes et des enfants malgaches attendent dans une clinique improvisée à Antanetikely, Madagascar, le 23 octobre 2007.

Pendant trois ans, Sana Rodiny a subi les quolibets dans son village de Madagascar. Mais la jeune fille vient de subir une reconstruction chirurgicale qui va signer la fin de son calvaire et de son incontinence provoquée par une fistule.

Il y a trois ans, "j'ai eu une fistule après avoir subi un viol collectif" commis par des voleurs de zébus, raconte Sana, 18 ans et longs cheveux ébène tressés.

Allongée à l'ombre d'un tamarinier, sur une natte en rabane, elle se remet de son intervention à l'hôpital Monja Jaona, dans le district Ambovombe (sud).

Maintenant qu'elle ne sent plus "l'urine à longueur de journée", elle peut envisager l'avenir. "Je vais juste travailler, pour vivre et être autonome, je veux devenir commerçante, une épicière".

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La fistule obstétricale se caractérise par une déchirure de la paroi entre le vagin et la vessie ou le rectum, provoquée par un accouchement compliqué, après plusieurs jours de travail sans intervention médicale appropriée, ou plus rarement après un viol particulièrement violent. Elle entraîne l'incontinence urinaire ou rectale.

Chaque année, 4.000 femmes sont victimes de fistules à Madagascar, selon le Fonds des Nations unies pour la population (FNUAP). A l'échelle de la planète, on estime le nombre de nouveaux cas à environ 50.000 par an.

Sana a sans doute "été victime d'une agression avec un objet assez rigide qui a entraîné une perforation de ses organes", avance le Pr Yoël Rantomalala, chirurgien urologue, venu spécialement d'Antananarivo dans le sud de Madagascar pour opérer 82 femmes. Une intervention à l'initiative du FNUAP et du ministère malgache de la Santé, financée par le gouvernement japonais.

La majorité des patientes, qui habitent loin des hôpitaux, ont été contraintes d'accoucher chez elles, seules ou avec l'aide de sages-femmes traditionnelles, mal équipées et peu formées aux accouchements difficiles.

Troquée contre des zébus

L'insécurité dans cette partie de la Grande Ile, où les voleurs de zébus font régner la terreur, complique aussi la situation des femmes en couche. De peur d'être attaquées, elles hésitent à prendre la route la nuit venue, même quand le travail a commencé.

"L'éloignement, l'insécurité et l'insuffisance d'équipement des petits dispensaires dans les bourgades sont à l'origine de la persistance des fistules dans notre région", résume le directeur de l'hôpital Monja Jaona, le docteur Paubert Tsivahiny.

"Les cas de fistules touchent essentiellement les filles-mères et les femmes de petite taille", qui ont souvent un accouchement difficile, poursuit le Pr Rantomalala.

En première ligne, les jeunes filles mariées précocement. Comme Marilina (sans nom de famille), troquée par ses parents contre des zébus.

A Madagascar, l'un des pays les plus démunis de la planète, il n'est pas rare que des parents désespérés donnent en mariage leur fille à des commerçants de zébus ou "patron'aomby" contre une dizaine de têtes de bétail à cornes.

Après avoir accouché à l'âge de 14 ans, Marilina a souffert d'une fistule pendant trois ans. "J'ai eu une complication lors de mon accouchement, mon enfant est mort-né et j'ai eu une fistule", explique-t-elle. Après cette épreuve, son époux l'a quittée.

Molina (sans nom de famille), 40 ans, a subi le même sort. "Mon mari ne m'a plus aimée. Il ne pouvait plus faire l'amour avec moi car mon urine coulait tout le temps", explique cette mère de famille.

Depuis l'accouchement il y a dix ans de son petit dernier, mort-né, elle souffrait d'une fistule. "Mais maintenant que je suis guérie, je vais bâtir une petite ferme d'élevage de volaille", se réjouit-elle.

Trafic d'organes

Molina a accepté de se faire soigner. Mais les médecins et travailleurs sociaux peinent à trouver des patientes: stigmatisées, elles préfèrent garder le silence sur leurs souffrances. Et quand bien même elles se font connaître, encore faut-il les convaincre de se faire opérer.

"Lorsqu'on parle d'opération, les gens dans cette région ont tout de suite en tête un risque de trafic d'organes et d'une possibilité de décès sur la table d'opération", explique une assistante sociale, Yvette Brechard, alors que les rumeurs les plus folles de trafic d'organes circulent à Madagascar.

Une fois opérées, les patientes doivent encore éviter toute grossesse pendant deux à trois ans, le temps que la cicatrisation soit totale.

"Le problème dans notre région, c'est que les femmes mariées ne sont pas responsables de leur vie, elles doivent toujours attendre l'avis de leurs beaux-parents avant de décider quoi que ce soit", déplore le Dr Brozany Andriamino, chef du service maternité de l'hôpital Monja Jaona.

"Et dans cette prise de décision, le beau-parent refuse souvent toute forme de planning familial", regrette-t-il.

Avec AFP

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