La Cour suprême acquitte la chrétienne Asia Bibi au Pakistan

Asia Bibi dans la prison de Sheikhupura, près de Lahore, le 20 novembre 2010.

La Cour suprême du Pakistan a acquitté en appel la chrétienne Asia Bibi, condamnée à mort pour blasphème en 2010 et dont le cas avait suscité l'indignation à l'étranger et des violences dans le pays.

"Elle a été acquittée de toutes les accusations", a déclaré le juge Saqib Nisar lors de l'énoncé du verdict, ajoutant que Mme Bibi, qui se trouve actuellement incarcérée dans une prison à Multan (centre), allait être libérée "immédiatement".

L'avocat de Mme Bibi, Saif-ul-Mulook, a aussitôt appelé sa cliente au téléphone pour lui annoncer la nouvelle depuis le tribunal.

"Avez-vous entendu que vous êtes un être humain libre à présent ? Vous pouvez prendre votre envol et aller où vous voulez", lui a-t-il dit.

"Quoi ? vraiment ? Je ne sais pas quoi dire", lui a-t-elle répondu avant de se répandre en remerciements.

En pratique, la libération de Mme Bibi pourrait toutefois prendre plusieurs jours en raison de procédures bureaucratiques, a indiqué l'avocat.

"Justice a été rendue, c'est une victoire pour Asia Bibi. Le verdict montre que les pauvres, les minorités et la fraction la plus modeste de la société peuvent obtenir justice dans ce pays en dépit de ses défauts", s'est-il encore félicité.

"Je suis très heureux. Ceci est le jour le plus important et le plus heureux de ma vie", a-t-il dit.

Le verdict pourrait susciter la fureur des milieux religieux fondamentalistes qui appelaient de longue date à l'exécution de Mme Bibi.

Mercredi, la capitale Islamabad avait été placée sous haute sécurité, avec des barrages sur les routes notamment à proximité des quartiers où vivent les magistrats et la communauté diplomatique.

Asia Bibi, mère de cinq enfants, avait été condamnée à la peine capitale à la suite d'une dispute avec une musulmane au sujet d'un verre d'eau.

Son cas avait eu un retentissement international, attirant l'attention des papes Benoît XVI et François. En 2015, l'une de ses filles avait rencontré ce dernier.

Asia Bibi avait également reçu le soutien de la maire de Paris Anne Hidalgo, qui avait réclamé sa grâce et l'avait élevée en 2015 au rang de citoyenne d'honneur de sa ville.

Au Pakistan même, l'histoire de cette chrétienne d'origine modeste divise fortement l'opinion.

Le blasphème est un sujet extrêmement sensible dans ce pays très conservateur où l'islam est religion d'Etat. La loi prévoit jusqu'à la peine de mort pour les personnes reconnues coupables d'offense à l'islam.

"Pas rester au Pakistan"

Un ancien gouverneur du Pendjab, Salman Taseer, qui avait pris sa défense, avait été abattu en plein coeur d'Islamabad en 2011 par son propre garde du corps. L'assassin, Mumtaz Qadri, a été pendu début 2016.

"Longue vie au Pakistan", a tweeté mercredi son fils Shahbaz Taseer en réaction apparente au verdict.

Les défenseurs des droits de l'homme voient en Asia Bibi un emblème des dérives de la loi réprimant le blasphème au Pakistan, souvent instrumentalisée, selon ses détracteurs, pour régler des conflits personnels.

Lors de l'examen de son recours début octobre, les juges de la Cour suprême avaient semblé s'interroger sur le bien-fondé de l'accusation.

"Je ne vois aucune remarque désobligeante envers le Coran dans le rapport d'enquête", avait observé le juge Saqib Nisar, tandis qu'un second juge, Asif Saeed Khan Khosa, relevait plusieurs points de non-respect des procédures.

Des islamistes radicaux avaient menacé publiquement les trois magistrats s'ils prononçaient l'acquittement.

"Les musulmans pakistanais prendront les mesures adéquates face aux juges (...) et les conduiront à une fin horrible", avaient fait savoir des responsables du Tehreek-e-Labaik Pakistan (TLP), un groupe religieux extrémiste devenu parti politique, qui fait de la punition du blasphème sa raison d'être.

On ignorait dans l'immédiat ce qu'il adviendrait de Mme Bibi après son acquittement.

En cas de libération, "Asia ne peut pas rester (au Pakistan) avec la loi" sur le blasphème, avait estimé son mari Ashiq Masih, accueilli à Londres par l'ONG catholique Aide à l'Église en détresse (AED).

"Pour nous, la vie au Pakistan est très difficile, nous ne sortons pas de chez nous, nous sommes très prudents", avait souligné sa fille Esham.

"Je serai très heureuse le jour où ma mère sera libérée, je la prendrai dans mes bras, je pleurerai de la retrouver", avait-elle ajouté.

Avec AFP