A l'approche des élections en Ouganda, les "Empêcheurs de crime" inquiètent

La police ougandaise porte des ballons pour condamner la violences contre les femmes, à Kampala, le 5 décembre 2015.

Ces groupes, officiellement des civils bénévoles, patrouillent avec la police pour prévenir les actes criminels, mais de nombreuses critiques y voient une force inféodée au président Museveni.

Rassemblés devant un commissariat, environ 240 hommes attendent leurs instructions, alors que la nuit tombe sur Kampala: les "Empêcheurs de crime" ("Crime preventers"), officiellement des civils bénévoles, s'apprêtent à patrouiller les rues de la capitale ougandaise avec la police.

Alors que la campagne électorale bat son plein pour la présidentielle du 18 février, cette unité, présente sur tout le territoire et censée prévenir les actes criminels en coopération avec les forces de l'ordre, est sous le feu des critiques.

L'opposition et des organisations de défense des droits de l'Homme y voient une force supplétive de la police inféodée au pouvoir du président Yoweri Museveni, en course pour un cinquième mandat.

Le gouvernement ougandais réfute les critiques et explique que ce programme, qui était déjà en place dans les années 1990, a simplement pris de l'ampleur. La police avance même le nombre de 11 millions de membres, soit près d'un tiers des 37 millions d'Ougandais.

"Ce sont des Ougandais responsables qui veulent la paix et la stabilité", plaide Adam Sankara, 35 ans et responsable du programme pour le district de Kampala.

"Nous leur enseignons le concept du patriotisme. Nous ne sommes pas partisans", assure M. Sankara, homme d'affaires le jour et "patriote" la nuit depuis 2013.

Les muscles du pouvoir

Ce père de deux enfants réfute lui aussi les accusations de brutalités imputées à ses hommes qui, insiste-t-il, sont équipés d'un simple sifflet et agissent toujours avec la police. Les nouvelles recrues suivent des entraînements d'arts martiaux et des "cours idéologiques".

Le chef de la police, Kale Kayihura, est lui aussi monté au créneau, conseillant aux détracteurs du programme d'aller "se faire pendre".

"Personne ne nous arrêtera tant que nous aurons la responsabilité de garantir la sécurité du pays", a-t-il déclaré.

Mi-janvier, cinq organisations ougandaises et internationales de défense des droits de l'Homme avaient accusé les "Empêcheurs de crime" d'être "fortement affiliés" au Mouvement de Résistance nationale (NRM), le parti au pouvoir, et de s'être "rendus coupables de racket et d'agressions brutales, sans jamais rendre de comptes".

"L'utilisation de volontaires ou de réservistes en complément d'une police de proximité n'est pas un concept nouveau ou mauvais en soi" mais ces forces ne doivent pas "devenir les yeux et les muscles du parti au pouvoir dans chaque village", estimait alors Maria Burnett, chercheuse Afrique à Human Rights Watch.

Lundi, le porte-parole du gouvernement, Ofwono Opondo, a une nouvelle fois mis en garde les partis d'opposition, les accusant de mettre sur pied des milices pour organiser la contestation dans la rue en cas de nouvelle défaite.

L'opposition dément et dénonce en retour les "Empêcheurs de crime", des accusations mutuelles symptomatiques de la tension qui a gagné le pays à l'approche d'une élection qui s'annonce plus serrée que d'habitude.

Servir le président : "un privilège"

Yoweri Museveni, au pouvoir depuis 1986, aura pour principaux rivaux l'opposant historique Kizza Besigye, chef du Forum pour le changement démocratique (FDC) et l'ex-Premier ministre Amama Mbabazi, ancien cacique du pouvoir.

Pour Shawn Mubiru, cadre du parti de M. Besigye, nombre de "Crime preventers" ne cachent pas leur soutien au président Museveni, dont ils arborent le portrait sur leur T-shirt: "Beaucoup sont venus mettre la pagaille dans nos réunions politiques", assure-t-il.

Josephine Mayanja-Nkangi, porte-parole de M. Mbabazi, abonde: "Nous avons eu des rencontres malencontreuses répétées" avec eux.

De fait, met en garde Gabrielle Lynch, de l'université britannique de Warwick, les "Empêcheurs de crimes" pourraient être "utilisés pour intimider les électeurs de l'opposition près des bureaux de vote ou étouffer tout début de contestation" des résultats.

Il s'inscrivent dans un projet "qui tend plus à garder la vieille garde au pouvoir qu'à construire une société capable de fournir un emploi à leur propre génération", estime Magnus Taylor, de l'International Crisis Group.

"C'est faux", rétorque le coordinateur national du programme, Blaise Kamugisha.

Après tout, résume le responsable des jeunes du NRM à la prestigieuse université Makerere de Kampala, "servir le président est un privilège et un honneur".

AFP