L'explication de pirates somaliens face à leurs juges français

Un bateau de pêche au thon espagnol accompagné de deux navires de guerre espagnols dans l'océan Indien après avoir été libéré par les pirates somaliens le 17 novembre 2009. (REUTERS/Spanish Defence Ministry)

Leur destin s'est noué sur une plage de Somalie où, en quête désespérée d'un peu d'argent, ils sont devenus pirates malgré eux, ont raconté mardi des Somaliens jugés en France pour une attaque mortelle contre le catamaran "Tribal Kat" en 2011.

Devant un tribunal parisien, deux d'entre eux ont pleuré mardi à l'évocation du couple de plaisanciers français à bord du bateau. Ces retraités avaient tout sacrifié pour s'offrir un tour du monde, qui s'est soldé le 8 septembre 2011 par la mort de Christian Colombo à bord de son bateau.

Ils ont demandé "pardon" à la veuve, pour cette "souffrance qui ne partira jamais", dont ils ne se sentent pas coupables, mais responsables.

Eux aussi ont une famille, pour laquelle ils expliquent à la cour d'assises avoir tout tenté, et risquent aujourd'hui la réclusion criminelle à perpétuité.

"J'étais pêcheur. Après (quelques années), il n'y avait plus rien dans la mer. J'ai commencé à vendre du thé pour subvenir aux besoins de mes enfants", explique Brug Ali Artan, 26 ans, dit "le boiteux".

Comme d'autres, il dit avoir rencontré "Shine", désigné par tous comme le chef du groupe, sur une plage de Murcaayo, à la pointe de la Corne de l'Afrique. "Il m'a promis 1.000 dollars pour faire le pirate", reconnait-il. Une fois les 300 premiers dollars d'acompte dépensés, il "ne pouvait plus reculer".

A 30 ans, Saïd Ahmed Djama a déjà eu plusieurs vies: ce montagnard a été "coolie", cueilleur d'encens puis pirate. "Je voulais aller au Yémen", dit-il. Il "supplie" pour être pris à bord d'un skiff qui, pense-t-il, transporte des travailleurs clandestins pour Aden.

"Dépouilleurs"

Quand après moins de deux jours de mer, leur équipage aborde un boutre pakistanais et que Shine et son second Abdoulahi sortent les kalachnikovs, il comprend qu'"ils sont des dépouilleurs".

Mais pourquoi ne pas fuir, tenter de rester à bord du boutre, demande le président à chacun de ces hommes. "Impossible" face à Shine "qui donnait les ordres" l'arme à la main.

Les explications sont souvent laborieuses, les contradictions fréquentes. Mais tous ont visiblement cherché à échapper à une fatalité somalienne: la guerre, puis la surpêche pratiquée notamment par des multinationales dans le Golfe, et la pollution d'un littoral que le déliquescent gouvernement de Mogadiscio ne parvenait pas à préserver.

Ainsi, quand on propose à Mohamed Ahmed Hersi, 33 ans, de "partir en mer", il commence par refuser, mais ne résiste pas longtemps à la promesse de "1.500 dollars" que lui fait un ancien marchand de bétail reconverti en chef pirate à Bossaaso (nord). Pendant l'instruction, il avait expliqué que la multiplication des arrestations dans le Golfe d'Aden poussait alors les chefs pirates à recruter toujours plus d'hommes.

Lui avait dû faire plus de 700 km de route pour gagner la côte, pour avoir ce "travail". Mais il assure avoir vraiment compris le but de l'expédition juste avant de monter à bord, quand il voit les armes, "trois kalachnikovs et un lance-roquette".

Tous minimisent leur rôle dans le drame: l'un avait pour seule mission d'écoper, l'autre d'alimenter le moteur en carburant. Ils disent n'avoir pas tiré un coup de feu, accusent en bloc Shine et Abdoulahi, tous deux morts lors de l'assaut donné par un commando espagnol venu libérer Evelyne Colombo après deux jours de captivité.

Ahmed Hersi, désigné par la veuve comme l'un des hommes qui l'avait menacée d'une arme lors de l'assaut, assure qu'il n'a jamais tenu d'arme. Ahmed Djama dit n'avoir jamais tiré alors que des résidus de tir ont été retrouvés sur ses vêtements. Personne n'explique les 38 impacts de balle retrouvés sur le catamaran.

Evelyne Colombo ne leur a pas adressé un regard. Elle qui n'a jamais compris en quoi son mari et elle pouvaient "intéresser" les pirates, qui n'ont volé "que" 400 dollars, des ordinateurs et des bijoux.

Avec AFP