La Tunisie vote pour ses premières municipales de l'après-révolution

Rached Ghannouchi, leader du parti islamiste tunisien Ennahda, dépose son bulletin dans une urne à un bureau de vote à Ben Arous, près de la capitale Tunis, le 6 mai 2018.

Les premières municipales libres de Tunisie ont été marquées par une importante abstention, ce scrutin pourtant jugé crucial pour enraciner la démocratie dans l'unique pays rescapé du Printemps arabe ayant été accueilli sans grand enthousiasme.

A 14 heures GMT, soit trois heures avant la fermeture de la plupart des bureaux, le taux de participation n'était que de 20,4%, selon l'instance en charge des élections (Isie).

Dans un bureau du centre de Tunis, où les électeurs arrivaient au compte-goutte, Ridha Kouki, 58 ans, vient car voter est "un droit mais aussi un devoir". "Même si on n'a pas beaucoup d'espoir, et si les projets sont vides, je viens quand même accomplir mon devoir", a-t-il ajouté.

A Sfax, deuxième ville du pays, une quadragénaire affirme que nombre de ses amies n'étaient pas venues voter. "J'ai tenu bon, et insisté pour que mes enfants aillent voter aussi... mais je n'attends rien de ces élections, je fais mon devoir et c'est tout".

Les jeunes étaient particulièrement peu nombreux à voter.

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"Je suis déjà tombée dans leur piège en 2014, je ne vais pas refaire cette erreur", lançait ainsi Kamilia Mlouki, une diplômée chômeuse de 23 ans.

Les résultats ne sont attendus qu'au cours des prochains jours, mais une forte abstention, même largement pressentie, constituerait un revers pour la classe politique, qui avait appelé à la mobilisation.

La démocratie "s'exerce"

Avant de voter, le président Béji Caïd Essebsi, 91 ans, a lui-même exhorté les Tunisiens à exercer leur "devoir national", soulignant que "la démocratie ne s'impose pas, elle s'exerce".

Sept ans après la révolution, qui avait suscité de nombreux espoirs, beaucoup de Tunisiens se disent démobilisés en raison d'une inflation désormais proche de 8%, d'un chômage toujours aussi élevé mais aussi des "arrangements" présumés entre partis dominants, aux premiers rangs desquels Nidaa Tounès -fondé par M. Essebsi- et les islamistes d'Ennahdha.

Repoussées à quatre reprises en raison de blocages logistiques, administratifs et politiques, ces municipales constituent les premières élections depuis les législatives et la présidentielle de 2014, alors saluées par la communauté internationale.

Ce scrutin est "historique" pour la Tunisie, a également fait valoir le vice-président du Parlement européen, Fabio Castaldo, chef des observateurs envoyés par l'UE. "C'est un pas important pour la stabilité du pays, pour la mise en place complète de la Constitution et pour servir de modèle au monde arabe".

Les bureaux de vote restent ouverts de 8H00 à 18H00 (07H00 à 17H00 GMT) pour que les 5,3 millions d'électeurs tunisiens inscrits élisent les conseillers des 350 municipalités à la proportionnelle à un tour. Ces conseillers devront ensuite élire les maires d'ici la mi-juin.

Quelques incidents ont été constatés dans le bassin minier, où un boycott a touché plusieurs bureaux après une confusion entre des bulletins de vote à l'ouverture.

Le parti Nidaa Tounès a déploré des "débordements", estimant qu'ils entachent "la crédibilité et la légitimité du scrutin", sans plus de précision.

Quelque 60.000 policiers et militaires -qui ont déjà voté il y a une semaine par anticipation, pour la première fois de leur histoire-- sont mobilisés: la Tunisie est sous état d'urgence depuis une série d'attentats jihadistes en 2015.

Plus de 57.000 candidats sont en lice, dont la moitié de femmes et de jeunes. Sur les 2.074 listes en course, 1.055 sont issues de partis, 860 indépendantes et 159 de coalition, selon l'Isie.

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Une partie de la population dit tout de même espérer une amélioration de son quotidien: propreté, transports et développement.

Dans la foulée de la chute du régime de Zine Al Abidine Ben Ali en 2011, les municipalités avaient été dissoutes et remplacées par de simples "délégations spéciales", dont la gestion a été jugée défaillante au fil du temps.

Certains attendent aussi que les localités soient rendues plus attractives pour les investisseurs, afin de relancer le développement.

Décentralisation

A ce titre, ces municipales marquent le premier pas tangible de la décentralisation, inscrite dans la Constitution et l'une des revendications de la révolution.

Sous la dictature, les municipalités n'avaient que peu de pouvoir de décision, étant soumises au bon vouloir d'une administration centrale souvent clientéliste.

Mais le pays est désormais doté d'un Code des collectivités locales, voté in extremis fin avril, qui en fait pour la première fois des entités administrées librement et fortes d'un début d'autonomie.

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Pour des experts, les deux poids lourds de la vie politique, Ennahdha et Nidaa Tounès, qui sont les seuls à avoir présenté des listes dans toutes les municipalités ou presque, pourraient rafler la mise.

Ennahdha a indiqué sa volonté de poursuivre à l'échelon local le consensus forgé avec Nidaa au plan national.

Ce scrutin doit malgré tout permettre de voir émerger une nouvelle génération d'élus. Il sera suivi de législatives et d'une présidentielle en 2019.

Pour cette dernière, le président Essebsi, 91 ans, n'a pas encore fait connaître ses intentions.

Avec AFP