Kiev s'inquiète de l'aggravation de la situation à Marioupol avant de nouveaux pourparlers

Des voitures détruites sont vues devant un immeuble qui a été fortement endommagé lors du conflit Ukraine-Russie dans la ville portuaire assiégée de Marioupol, le 27 mars 2022.

Les autorités ukrainiennes s'inquiétaient lundi d'une aggravation de la situation dans le port assiégé de Marioupol, où au moins 5.000 personnes auraient déjà péri, à la veille de nouveaux pourparlers entre négociateurs russes et ukrainiens à Istanbul.

Selon une conseillère de la présidence ukrainienne, Tetyana Lomakina, "environ 5.000 personnes ont été enterrées, mais les gens ne sont plus enterrés depuis dix jours à cause des bombardements continus". Elle a estimé qu'"au vu du nombre des personnes encore sous les décombres (...), il pourrait y avoir autour de 10.000 morts".

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Plus d'un mois après le début de l'invasion russe, le président ukrainien Volodymyr Zelensky avait dénoncé dimanche un blocus total de cette cité portuaire stratégique sur la mer d'Azov, dont l'armée russe tente de s'emparer depuis fin février, et où environ 160.000 personnes sont toujours coincées, selon son maire Vadim Boïtchenko.

"Toutes les entrées et sorties de la ville sont bloquées (...), il est impossible de faire entrer à Marioupol des vivres et des médicaments", a affirmé dimanche soir M. Zelensky, accusant les forces russes de bombarder les convois d'aide humanitaire.

Et avec l'annonce vendredi par Moscou d'"une concentration de ses efforts sur la libération" du Donbass, un conseiller de la présidence ukrainienne a dit redouter une "aggravation" de la situation dans cette ville située au sud de ce bassin minier.

Des médias russes ont affirmé lundi que le dirigeant tchétchène Ramzan Kadyrov, un proche de Vladimir Poutine, s'était rendu à Marioupol pour galvaniser ses troupes qui participent à l'assaut.

En outre, l'Ukraine a annoncé avoir des "preuves" de l'utilisation par les forces russes de bombes à sous-munitions, des armes interdites par les conventions internationales, dans deux régions du sud de son territoire, celles d'Odessa et de Kherson.

Irpin "libérée"

L'Ukraine a annoncé lundi soir qu'Irpin, théâtre de féroces combats dans la banlieue de Kiev, a été "libérée" des forces russes. "La ville est maintenant libérée, mais il est toujours dangereux d'y être", a déclaré le ministre de l'Intérieur Denys Monastyrsk. D'autres combats se déroulaient par ailleurs dans plusieurs localités autour de la capitale.

"L'ennemi tente d'effectuer une percée autour de Kiev et de bloquer les routes", a affirmé Ganna Malyar, vice-ministre de la Défense, à la télévision ukrainienne, soulignant que "la défense de Kiev" se poursuivait.

A Stoyanka, à la lisière ouest de Kiev, un village devenu fantôme après des semaines de bombardements, certains de ses habitants faisaient leur retour, après avoir entendu que les forces ukrainiennes avaient chassé les troupes russes. Mais à un point de contrôle, un combattant ukrainien les mettait en garde contre les snipers russes, qui continuent à tenir dans leur viseur les rues désertées.

Des combats acharnés se déroulaient aussi dans l'est. A la périphérie nord-est de Kharkiv, la deuxième ville d'Ukraine, proche de la frontière russe, Saltivka, quartier populaire de hautes barres d'immeubles pilonné quasi-quotidiennement par l'armée russe, n'est plus qu'une cité désertée balayée par les vents où ne survivent, terrés dans les caves, qu'une poignée de vieillards traumatisés, selon des journalistes de l'AFP.

Les soldats ukrainiens ont en revanche repris le contrôle de Mala Rogan, un petit village à environ quatre kilomètres à l'est de Kharkiv, a constaté l'AFP, qui a vu deux corps de soldats russes gisant dans une allée et plusieurs blindés russes détruits.

Dans le sud, l'étau russe semblait aussi se desserrer autour de certaines villes, comme Mykolaïv, une ville-verrou sur la route d'Odessa, le plus grand port d'Ukraine, dont les habitants semblaient retrouver un peu d'espoir, après des semaines terribles pendant lesquelles l'armée russe a tenté en vain de prendre leur cité.

Le front a même sensiblement reculé, avec une contre-offensive ukrainienne sur Kherson, à quelque 80 km au sud-est, seule ville d'importance dont l'armée russe ait revendiqué la prise totale depuis le 24 février.

Biden ne "s'excuse pas"

A Washington, le président américain Joe Biden a affirmé lundi qu'il ne retirait pas ses propos controversés suggérant qu'il souhaitait le départ de son homologue russe Vladimir Poutine du pouvoir, car ils exprimaient son "indignation" personnelle et pas une "politique" en faveur d'un changement de régime.

"Je ne les retire pas" et "je ne m'excuse pas", a-t-il dit devant la presse. "J'exprimais simplement mon indignation", "mais cela ne signifie pas que nous ayons un changement de politique fondamental", a-t-il ajouté.

En visite samedi à Varsovie, il s'en était pris violemment au maître du Kremlin, le qualifiant de "boucher" et jugeant qu'il ne pouvait "pas rester au pouvoir" après le début de l'offensive russe en Ukraine. La Maison Blanche a peu de temps après précisé qu'il n'avait pas appelé à un "changement de régime" en Russie. Le Kremlin a dénoncé lundi les commentaires "alarmants" de Biden.

Neutralité de l'Ukraine sur la table

Sur le front diplomatique, les négociateurs russes sont arrivés lundi à Istanbul pour une nouvelle session de pourparlers avec les Ukrainiens qui devrait débuter mardi. Une précédente séance de négociations en présentiel avait déjà eu lieu le 10 mars en Turquie, au niveau des ministres des Affaires étrangères, mais n'avait débouché sur aucune avancée.

Les discussions s'étaient ensuite poursuivies en visioconférence pour tenter d'arrêter ce conflit qui a déjà contraint près de 3,9 millions d'Ukrainiens à fuir leur pays selon l'ONU et causé plus de 500 milliards d'euros de pertes économiques à l'Ukraine, selon une estimation de Kiev.

Un des points importants des négociations porte sur "les garanties de sécurité et la neutralité, le statut dénucléarisé de notre Etat", a déclaré dimanche le président Zelensky à des médias russes. Ce point "est étudié en profondeur", mais il rendra nécessaires un référendum et des garanties de sécurité, a-t-il prévenu, accusant Vladimir Poutine et son entourage de faire "traîner les choses".

Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a cependant tempéré les attentes lundi, affirmant que les négociations jusqu'ici n'avaient pas produit d'"avancées significatives".

Le chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov a jugé qu'une rencontre entre Vladimir Poutine et Volodymyr Zelensky, que ce dernier appelle de ses voeux, serait pour l'heure "contre-productive". Il l'a fait dépendre de la satisfaction des exigences de Moscou dans les négociations, dont la "démilitarisation" et la "dénazification" de l'Ukraine.

Londres a mis en garde lundi contre des négociations avec la Russie revenant à "brader" l'Ukraine. L'ONU va elle chercher à mettre en place un "cessez-le-feu humanitaire" entre la Russie et l'Ukraine.

Pas de couloir humanitaire

A la veille des nouveaux pourparlers prévus en Turquie, l'oligarque russe Roman Abramovitch, qui tente de jouer les médiateurs entre Moscou et Kiev pour faire cesser la guerre en Ukraine, ainsi que deux négociateurs ukrainiens ont souffert de symptômes qui font penser à un possible "empoisonnement", a dit à l'AFP une source proche du dossier, confirmant des informations du Wall Street Journal.

En Russie, le journal indépendant Novaïa Gazeta, dont le rédacteur en chef Dmitri Mouratov a reçu en 2021 le Nobel de la Paix, est le dernier en date à avoir annoncé, lundi, suspendre ses publications en ligne et au format papier jusqu'à la fin de l'opération militaire en Ukraine.

M. Lavrov a de son côté annoncé qu'un décret était en préparation pour limiter l'accès au territoire russe aux ressortissants de pays auteurs d'actes "inamicaux" à l'égard de la Russie, visée par une multitude de sanctions depuis le déclenchement de son offensive. Il n'a cité aucun pays précis, même si Moscou a publié début mars une liste de pays inamicaux incluant notamment les Etats-Unis et les pays de l'Union européenne.

Lundi, Joe Biden a proposé un budget comprenant 6,9 milliards de dollars pour l'Initiative européenne de dissuasion, l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (Otan) et "la lutte contre l'agression russe", ainsi qu'un milliard supplémentaire en faveur de l'Ukraine.

Le chef de la diplomatie ukrainienne Dmytro Kouleba a par ailleurs salué la position des pays du G7 sur la décision de la Russie de demander un paiement en roubles pour ses livraisons de gaz, estimant que le "chantage" de Moscou était inacceptable.