Gambie: les médiateurs en ont appelé à la foi de Yahya Jammeh pour le faire partir

L’ex-président Yahya Jammeh déclare avoir accepté de céder le pouvoir au président élu Adama Barrow, à Banjul, Gambie, 21 janvier 2017. Image du discours diffusé sur la télévision d’Etat gambien.

Pour faire plier Yahya Jammeh, animé d'une "volonté farouche" de rester à la tête de la Gambie, les médiateurs ont joué sur plusieurs cordes, dont la foi, a indiqué à l'AFP l'ex-ministre guinéen Tibou Kamara, impliqué dans les négociations.

Il y a une semaine, les présidents guinéen Alpha Condé et mauritanien Mohamed Ould Abdel Aziz se rendaient à Banjul pour une médiation "de la dernière chance", pendant laquelle la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (Cédéao) a suspendu son opération militaire lancée quelques heures auparavant.

Après une journée de discussions avec Yahya Jammeh, interrompue notamment pour accomplir ensemble la grande prière du vendredi, les deux chefs d'Etat sont parvenus à le convaincre de céder le pouvoir à Adama Barrow, vainqueur de l'élection du 1er décembre, et de quitter le pays, ce qu'il a fait le 21 janvier.

Au moment de leur arrivée, Tibou Kamara se trouvait déjà sur place, ayant engagé des pourparlers auprès de M. Jammeh avec l'accord de son épouse Myriem, soeur cadette de Zineb Jammeh, la femme de l'ex-président gambien. Les deux femmes sont de mère marocaine et de père guinéen.

"La situation n'était pas facile, car face à la détermination de la communauté internationale, il y avait une volonté farouche (de Yahya Jammeh) de défendre ce qu'il estimait être le droit, la vérité, la justice mais surtout l'indépendance et la souveraineté de son pays", a affirmé M. Kamara à l'AFP à Conakry.

Pour lui faire comprendre les dangers que son obstination à se maintenir au pouvoir faisait courir à la Gambie, les négociateurs ont invoqué plusieurs arguments qui ont porté, selon lui.

"On a joué sur la foi", a précisé Tibou Kamara, rappelant que Yahya Jammeh lui-même "a souvent dit que tout ce qui arrive à un homme, c'est le fait de Dieu. Et il a été très sensible à cet argument".

M. Jammeh a toujours cultivé l'image d'un musulman pieux, apparaissant régulièrement Coran et chapelet en main et débutant ses discours officiels par des sourates du livre saint de l'islam.

- 'Musulman et patriote' -

Ensuite, a poursuivi M. Kamara, "tout le monde lui a dit que ce n'était pas nécessaire d'engager le pays dans la guerre" alors qu'il s'est toujours targué d'être arrivé au pouvoir sans effusion de sang et d'avoir préservé son pays des conflits sanglants qu'a pu connaître la région.

Il lui a aussi été suggéré de "protéger" son propre avenir, selon Tibou Kamara: "Cela veut dire partir avec élégance" et conserver ses liens de "proximité avec ceux qui ont mené la médiation" notamment.

Preuve que cette argumentation a fait mouche, Yahya Jammeh a invoqué ces raisons dans son discours d'adieu radiotélévisé, diffusé dans la nuit du 20 au 21 janvier.

"En tant que musulman et que patriote, j'estime qu'il n'est pas nécessaire qu'une seule goutte de sang soit versée", a-t-il affirmé.

"La paix et la sécurité de la Gambie sont notre héritage collectif, que nous devons protéger et défendre jalousement", a estimé l'ex-président.

Pour Tibou Kamara, "le départ pacifique du président sortant et le fait que l'alternance s'opère tranquillement" constituent "un acquis considérable à la fois pour la Cédéao et pour le peuple gambien".

Il a mis en garde contre toute velléité de "règlements de comptes ou de chasse aux sorcières" visant Yahya Jammeh, ses proches ou les responsables de son régime par la nouvelle administration, estimant que cela risquerait de "causer un retour en arrière ou d'occasionner des conflits".

Dans une déclaration commune publiée le soir du 21 janvier, la Cédéao, l'Union africaine et l'ONU ont annoncé garantir les droits de M. Jammeh, y compris à revenir dans son pays, saluant sa "bonne volonté" pour parvenir à un dénouement pacifique.

Les efforts de Tibou Kamara pour la résolution de la crise gambienne ont été salués par le président guinéen, qui l'a nommé ministre d'Etat à la présidence et "conseiller personnel", selon un communiqué officiel.

Avec AFP