Yahya Jammeh, l'imprévisible président gambien

Yahya Jammeh à Washington le 5 août 2014.

Il s'était déclaré sûr de sa réélection et était soupçonné de vouloir s'accrocher au pouvoir en Gambie. Mais Yahya Jammeh, qui selon la commission électorale a admis sa défaite à la présidentielle, n'aura cessé de déconcerter, pendant ses 22 ans de pouvoir.

M. Jammeh, 51 ans, ne s'est pas encore prononcé lui même sur la reconnaissance, avant même les résultats officiels, de son échec, annoncée à la surprise générale par le président de la Commission électorale indépendante (IEC), Alieu Momar Njie, qui a loué sa "magnanimité".

Il devait s'adresser à la Nation dans une déclaration télévisée vendredi soir.

Si cette résignation à la perte du pouvoir apparaîtrait comme un coup de théâtre, tant il a gouverné sans partage, ce ne serait que la dernière d'une longue série de décisions déroutantes pour ce fils d'une famille paysanne du village de Kanilai (ouest).

Porté à la tête de l'Etat par un putsch sans effusion de sang en 1994 dans cette ex-colonie britannique enclavée dans le Sénégal à l'exception de sa façade Atlantique, il briguait jeudi un cinquième mandat de cinq ans.

En images : Jammeh reconnait sa défaite en Gambie

Face à lui, deux candidats : son vainqueur, l'homme d'affaires Adama Barrow, investi par une large coalition de l'opposition, et un ancien cadre de son parti, Mama Kandeh.

"Ils ne gagneront pas", avait-il déclaré à la clôture de sa campagne, prévenant qu'il ne tolérerait aucune contestation électorale par des manifestations, qualifiées de "failles exploitées pour déstabiliser les pays africains", mais exclusivement devant les tribunaux.

Selon les résultats officiels proclamés vendredi après-midi, il a perdu par 36,6 % des voix, contre 45,5% à M. Barrow.

Yahya Jammeh a longtemps pu compter sur la peur pour garder la majorité des Gambiens dans le rang : peur des pouvoirs mystiques dont il se dit doté, peur de la répression - parfois sanglante - de toute contestation, peur de sa mainmise sur les forces armées dont il est issu ...

- Collection de titres honorifiques -

Lieutenant de 29 ans lors de sa prise du pouvoir, cet amateur de lutte au physique imposant, marié et père de deux enfants, a troqué l'uniforme contre de luxueux boubous.

Outre ce changement vestimentaire, il a ajouté à son nom de naissance une série de titres honorifiques. Il se fait appeler "Son Excellence Cheikh Professeur El Hadj Docteur", ainsi que, depuis quelques années, "Babili Mansa", ayant le double sens de "bâtisseur de ponts" et "roi défiant les fleuves" en mandingue, une des langues parlées en Afrique de l'Ouest.

Après des études secondaires à Banjul, il s'engage en 1984 dans la gendarmerie. Jusqu'en 1992, il commande la police militaire à deux reprises.

En 1996, il prend sa retraite de l'armée avec le grade de colonel, crée son parti et se présente à sa première présidentielle, qu'il remporte. Il a été constamment réélu depuis.


Outre ses prétendus pouvoirs mystiques, sa biographie officielle lui prête "une vaste connaissance dans la médecine traditionnelle, surtout dans le traitement de l'asthme et de l'épilepsie".

Il assure pouvoir "guérir" la stérilité et le sida avec des plantes et des incantations mystiques donnant lieu à des séances collectives filmées et diffusées par les médias publics, au grand dam des acteurs de la lutte contre le VIH.

​Il cultive aussi l'image d'un musulman pieux, apparaissant régulièrement Coran et chapelet en main.

En décembre 2015, à la surprise générale, il proclame la Gambie république islamique, sans conséquence immédiate sur la vie quotidienne des quelque 2 millions d'habitants, dont environ 90% de musulmans et près de 8% de chrétiens.

Yahya Jammeh s'illustre aussi régulièrement par des déclarations fracassantes, notamment contre l'homosexualité, les puissances occidentales, la Cour pénale internationale (CPI) dont il a retiré la Gambie en octobre, bien que la procureure soit son ancienne ministre de la Justice.

Il lui arrive fréquemment de menacer de mort tous ceux qu'il considère comme des fauteurs de troubles, pour adopter en d'autres circonstances un ton parfaitement posé.

Son régime est accusé par des organisations non gouvernementales et certaines chancelleries de violations systématique des droits de l'Homme, critiques qu'il balaye systématiquement.

"Peu importe ce que les gens disent de moi, je n'en suis pas touché", avait-il dit en déposant sa candidature en novembre. "C'est entre moi et Dieu".

Avec AFP