Euro 2016 : Allemagne-France, un vrai match de village

Des supporters français lors du match contre l'Islande, au stade de France à Saint-Denis, le 3 juillet 2016.

D'un côté, 120 Allemands. De l'autre, 24 Français. Entre les deux, la rue principale, qui matérialise la frontière. Jeudi soir, la demi-finale de l'Euro Allemagne-France, "ce sera chacun chez soi", assure une habitante de Leiding, petit village à cheval entre les deux pays.

A l'entrée du hameau, aux confins de la Moselle française et de la Sarre allemande, des symboles soulignent la particularité du lieu: un drapeau allemand et un drapeau français ainsi qu'un panneau représentant la Marianne française assise à côté d'un "Michel", personnification de l'Allemagne coiffée d'un bonnet de nuit.

Côté ouest, on est en France et la rue principale du hameau de Leiding, sur la commune de Heining-lès-Bouzonville, est appelée "rue de la Frontière". Côté allemand, le village s'appelle Leidingen et le même axe s'appelle "Neutrale Strasse" ("rue Neutre", en allemand).

Cette situation remonte à 1815, quand Leiding avait été entièrement cédé à la Prusse, qui en a restitué une partie à la France en 1829.

Aujourd'hui, les vicissitudes de l'histoire de l'Alsace, de la Sarre et de la Moselle sont surmontées et la cohabitation orchestrée par le maire français Barthélémy Lemal et son homologue allemand Wolfgang Schmitt se passe "plutôt bien", assure le premier: la France gère l'éclairage public tandis que l'Allemagne fournit l'eau potable.

"Narguer nos voisins"

"Ici c'est l'Europe", s'amuse Marie-France Meloni, une Française de 57 ans mariée à un Italien qui travaille en Allemagne. Déçue par l'élimination de la Nazionale par la Mannschaft, la famille Meloni supportera l'équipe de France et regardera le match à la maison, comme tout le monde.

Car il n'y a à Leiding ni salle des fêtes, ni café qui pourrait retransmettre le match. Les plus fervents footeux pourront se rendre à Sarrelouis, en Allemagne à 13 km de là, pour le suivre sur écran géant.

Depuis les accords de Schengen qui ont rétabli la libre circulation entre les deux villages, "une frontière existe encore... c'est la langue", remarque M. Lemal, en regrettant que les enfants des deux côtés "ne se comprennent plus depuis que le patois n'est plus enseigné à l'école".

Jeudi soir, une autre frontière refera son apparition, footballistique celle-là, s'amuse Mme Meloni: "En général, si les Allemands gagnent ils passent en voiture, ils klaxonnent, ils vont jusqu'au village français à côté et nous aussi, si les Français gagnent, on va du côté allemand, on klaxonne, on manifeste notre joie pour narguer un petit peu nos voisins".

"8-1"

Sylvain Tritz, 48 ans, sera l'un des rares à accrocher un drapeau bleu-blanc-rouge à sa fenêtre, comme il le fait "à chaque fois que l'équipe de France joue", explique ce Français, qui travaille en France comme technicien en maintenance dans l'industrie pétrolière, déjà impatient de recevoir ses collègues pour l'occasion.

"Les soirs de match, je m'équipe", déclare-t-il, joignant le geste à la parole en enfilant son bonnet à grelots et son écharpe aux couleurs de l'équipe de France. Sa grand-mère était allemande, comme celle de nombreux habitants natifs de la région.

"Ce n'est que du sport, ce n'est pas parce que j'ai des voisins allemands que cela va changer quelque chose", relativise Sylvain Tritz.

Au travail, admet-il cependant, l'issue du match pourrait quand même modifier l'ambiance, car il a aussi des collègues allemands, comme c'est fréquent dans cette région frontalière.

Le quadragénaire espère évidemment une victoire française, dans l'idéal 3-0, "parce que cela rappellerait la victoire sur le Brésil" en 1998. Après la blessure infligée en demie-finales de la Coupe du monde de 1982 par le gardien allemand Harald Schumacher au Français Patrick Battiston, évacué du terrain, ce serait quand même une "petite revanche".

Le maire, Barthélémy Lemal, pronostique carrément une victoire des Bleus "8-1". Et il le promet: il n'y aura ni tensions ni échauffourées dans la rue de la Frontière.

Avec AFP