Les réformes d'Abiy Ahmed face aux violences ethniques en Ethiopie

Le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed à Khartoum, Soudan, le 2 mai 2018

Quand le nouveau Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed est arrivé au pouvoir en avril, promettant à tous des jours meilleurs, Bedaso Bora a dansé dans les rues avec ses voisins, dans leur région du sud éthiopien.

Quelques semaines plus tard, Bedaso et des centaines de milliers de membres de la minorité ethnique gedeo fuyaient devant leurs voisins oromo, venus les chasser brutalement de leurs fermes.

"J'ai vu des maisons brûler et des gens lancer des pierres", raconte Bedaso, qui a été contraint de se réfugier dans un camp sordide de la localité de Kercha, à environ 400 km au sud d'Addis Abeba.

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Des semaines de violence entre Oromo et Gedeo, juste après l'investiture de M. Abiy, ont provoqué le déplacement forcé de près d'un million de personnes, créant une urgence humanitaire à laquelle les ONG ont eu du mal à répondre.

Si les ambitions réformatrices de M. Abiy ont accru sa popularité, des analystes craignent que le rythme des changements n'exacerbe de vieilles rivalités ethniques, telles que celles entre les Oromo et les Gedeo.

"La rapidité et l'ampleur des changements qui ont lieu en Ethiopie équivalent à une révolution", estime l'analyste politique éthiopien Hallelujah Lulie.

"A chaque fois que les gens pensent qu'il y a un vide du pouvoir, ils tentent de capitaliser dessus pour défendre leurs intérêts. Je pense que la violence vient de là", argue-t-il.

Après avoir pris le pouvoir en 1991, la coalition du Front démocratique révolutionnaire des peuples éthiopiens (EPRDF) avait divisé le pays en neuf régions administratives, selon un système dit de "fédéralisme ethnique".

Ces derniers mois, les frontières entre ces régions ont été au centre de violentes luttes territoriales.

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En 2017, des tensions récurrentes sur la propriété de terres arables entre les Oromo et leurs voisins d'ethnie somali, dans le sud-est, ont provoqué une flambée de violences dans lesquelles des centaines de personnes ont péri et près de 1,1 million ont été déplacées.

De semblables frictions existent entre les Oromo, la principale ethnie d'Éthiopie, qui ont leur propre région, et les Gedeo, qui appartiennent à la Région des nations, des nationalités et des peuples du Sud (SNNPR).

De nombreux Gedeo cultivent du café en région oromo, dans des localités comme Kercha, et se disent victimes de discrimination de la part des autorités oromo.

L'envoi d'une lettre de doléances, concernant la question foncière de la communauté gedeo à l'administration régionale a déclenché les violences.

"Ce n'est pas ta région, ce n'est pas ton pays, tu devrais partir". C'est par ces mots que des gens armés de pierres et de machettes ont confronté Shiferaw Gedecho, un Gedeo cultivateur de café près de Kercha, après avoir attaqué son village.

En représailles, des Gedeo ont à leur tour ciblé des Oromo. "Nous n'avons aucun problème avec les Gedeo, mais ils sont venus nous attaquer, et ont tué nos fils et nos filles", répond Lucho Bedacho, un Oromo qui a fui dans un camp de déplacés, après que son neveu de 21 ans eut été tué au retour de l'école.

L'Organisation internationale pour les migrations (OIM) estime que 820.000 personnes ont été déplacées en zone gedeo et 150.000 en zone Guji Ouest, en région oromo.

Le gouvernement n'a publié aucun bilan, mais les Gedeo ayant parlé à l'AFP évoquent des dizaines de morts.

Pendant ses quatre premiers mois au pouvoir, M. Abiy, un Oromo, a gagné la confiance des Éthiopiens en sillonnant le pays pour promouvoir l'unité et en critiquant les méthodes souvent brutales des forces de l'ordre.

- "La stabilité en péril" -

Mais cette rhétorique d'apaisement n'a pas empêché des violences communautaires d'éclater dans le pays.

Si la crise la plus sérieuse est entre les Gedeo et les Oromo, d'autres affrontements intercommunautaires ont eu lieu ces dernières semaines dans la ville d'Assosa (ouest) et la capitale de la région somali Jijiga (est).

M. Abiy a accédé au pouvoir après deux années de manifestations anti-gouvernementales et a depuis tendu la main aux contestataires.

Un diplomate occidental en poste à Addis Abeba pense que sa bienveillance pourrait avoir encouragé certains à régler leurs comptes de manière violente.

"Mon sentiment c'est que, sans le faire exprès, il a exacerbé la situation", dit-il.

M. Hallelujah estime que ces violences ne font que justifier un peu plus les appels de M. Abiy à plus de cohésion.

"Si les (affrontements) dépassaient un certain seuil, ils pourraient mettre en péril la stabilité de l'État tout entier. Mais ils pourraient aussi donner du crédit à sa rhétorique jusqu'ici, qui est celle de l'unité", juge-t-il.

Les Gedeo et Oromo ont vécu côte à côte pendant des décennies. Beaucoup sont prêts à continuer, mais seulement si les responsables des violences sont punis.

"Les gens qui ont commis ces crimes sont encore là dehors", remarque Zeleke Gedo, un paysan gedeo. "A moins qu'ils ne soient traduits en justice, je ne me sentirai pas en sécurité".

Avec AFP