En Inde, l'impossible combat des femmes victimes de viol conjugal

Manifestants musulmans et chrétiens dénonçant ensemble le viol d'une religieuse de 71 ans, Ranaghat, Inde. (Shaikh Azizur Rahman for VOA News)

Le cauchemar de Deepti a commencé dans le huis clos de la chambre conjugale, aux mains de son mari, à peine célébrée la traditionnelle cérémonie de mariage à New Delhi.

"Il était brutal. Il m'a forcée à avoir des relations sexuelles même quand j'ai été hospitalisée", raconte à l'AFP cette femme d'une vingtaine d'années, frissonnant encore au souvenir des violences endurées pendant plusieurs mois avant de fuir.

Deepti a porté plainte contre son mari il y a trois ans, mais elle doute de le voir condamné dans un pays au fonctionnement patriarcal profondément ancré et où le viol conjugal n'est pas considéré comme un crime.

"Y-a-t-il une justice pour des victimes comme moi? Le fait de se marier lui donne-t-il le droit de disposer de mon corps?", demande Deepti, dont l'identité complète n'est pas révélée par l'AFP.

En Inde, les violences sexuelles constituent un fléau en particulier au sein de la famille, mais jusque-là les gouvernements ont tous refusé de criminaliser le viol conjugal.

La ministre des Femmes et de l'Enfance Maneka Gandhi a estimé récemment devant le Parlement qu'une telle décision était impossible en raison du faible niveau d'éducation général, de la pauvreté, des traditions sociales et religieuses.

Ses déclarations ont suscité l'indignation et déçu les défenseurs des droits des femmes car la ministre avait assuré auparavant qu'elle agirait sur ce sujet.

Face au tollé, elle s'est finalement ravisée et a promis de s'attaquer au problème.

"C'est l'un des lieux les plus délicats où intervenir car vous rentrez dans la chambre à coucher", a-t-elle dit à des journalistes. "Il s'agit de le faire avec finesse et fermeté, nous devons en discuter".

L'Inde est loin d'être le seul pays où le viol conjugal n'est pas un crime, Singapour ou la Chine par exemple ont une législation similaire.

La loi établit que "les relations sexuelles d'un homme avec sa femme, si elle n'est pas âgée de moins de 15 ans, ne constituent pas un viol".

- Durcir la loi -

En Inde, les maris peuvent cependant être poursuivis pour cruauté, un délit puni d'un maximum de trois ans de prison ou d'une amende. Les femmes peuvent par ailleurs demander des mesures de protection.

Mais pour les victimes et les ONG, faire du viol un crime aurait un effet autrement plus dissuasif.

"Vous ne pouvez avoir deux poids, deux mesures", et considérer que forcer sa femme n'est pas un viol du moment que l'on est marié, a souligné Roma, mère de deux enfants, lors d'une réunion d'information à Delhi sur le viol conjugal. "Si une loi voit le jour, les maris y réfléchiront à deux fois avant de violer leur femme", dit-elle.

La loi sur les violences sexuelles a été durcie en 2013 après le viol en réunion subi par une étudiante à New Delhi, morte de ses blessures, un crime qui a déclenché une vague de colère en Inde. La peine de mort est désormais prévue pour les affaires de viol les plus graves.

Un ancien juge de la Cour suprême, chargé à l'époque d'un rapport sur les mesures à prendre, avait recommandé d'intégrer le viol conjugal dans la loi, mais cette proposition avait été rejetée.

Un rapport parlementaire avait également écarté cette recommandation au motif qu'elle mettrait "le système familial indien" sous "forte tension".

Karuna Nundy, avocate qui a participé à la révision de la législation en 2013, récuse cet argument, tout comme celui d'un éventuel détournement de la loi par des femmes qui souhaiteraient ainsi se venger de leur mari.

"Toute loi peut être détournée", dit-elle à l'AFP, soulignant que le viol conjugal est peu dénoncé en raison de la stigmatisation dont souffre la victime.

- Endurer en silence -

Plus d'une femme sur deux a été victime de violences sexuelles en Inde, selon une étude de 2014 du Centre International de Recherches sur les Femmes (ICRW) et du Fonds des Nations Unies pour la Population, tandis que 60% des hommes interrogés ont reconnu avoir commis de telles violences.

"Les hommes pensent que le mariage leur donne tous les droits en matière de sexe. Ils ne réalisent même pas qu'il leur faut demander le consentement" de leur épouse, estime Monica, une avocate spécialisée dans ces violences et travaillant pour l'ONG Maitri.

"Si une épouse envisage de porter plainte et va voir la police, on va lui dire: +Vous avez de la chance, il vient à vous! Rentrez chez vous et rendez-le heureux".

Lors de la réunion d'informations à laquelle assistait l'AFP, nombre de femmes ont raconté n'avoir eu d'autre choix que de subir ces violences.

"J'étais très jeune quand je me suis mariée. Je ne savais même pas ce qu'était une relation sexuelle", dit Meera, mère de trois enfants qui vit toujours avec son mari. "Je sais que tout ce qu'il m'a fait est inacceptable. Mais mes parents m'ont dit de ne rien faire et de me soumettre".

Avec AFP