Burkina: la justice populaire et expéditive des Koglwéogo

Roch Kabore le président du Burkina Faso

Cette semaine, un groupe de Koglwéogo ("protection de l'environnement", en langue Mooré) a bloqué la route nationale à 280 km à l'est de la capitale pour obtenir la libération de miliciens emprisonnés, ravivant le débat national sur ces groupes.

"On attend les voleurs", affirme François Kaboré, secrétaire local des Koglwéogo, des groupes d'autodéfense qui pullulent au Burkina Faso et qui rendent justice sans passer par les procédures légales.

Cette semaine, un groupe de Koglwéogo a bloqué la route nationale à 280 km à l'est de la capitale pour obtenir la libération de miliciens emprisonnés, ravivant le débat national sur ces groupes.

A Kokologho, ville moyenne à 40 kilomètres de Ouagadougou, la foule s'agglutine sur un terrain vague près d'une paillote qui sert de siège à l'association locale des Koglwéogo.

Les "widsés" (Éperviers, miliciens) arrivent enfin à moto. Cinq d'entre eux, la trentaine, habillés de tshirt de sport usés et recouverts de poussière, jettent au sol deux suspects: un mécanicien est accusé de vol, l'autre s'est interposé lors de "l'interpellation". Ils sont traînés jusqu'à la paillote puis attachés à un arbre, dos dénudés, prêts à être fouettés. Un des hommes porte déjà des lacérations sur le dos.

Coups

Les deux hommes attendent résignés. Deux anciens se munissent de branches d'arbre. Coup de sifflet. Coups sur le dos. "Avoue que tu as aidé ton ami à voler l'essence!". Aucune réponse. Les coups pleuvent.

Cette fois, le détenu répond: "Il était drogué. C'est pour cela qu'il a boxé nos hommes", traduit M. Kaboré. Verdict: 10.000 francs CFA (15 euros) "pour l'essence qui a servi à le ramener ici et pour dédommager les personnes qu'il a blessées en les frappant".

Le suspect se laisse dépouiller de l'argent sous les regards de la foule excitée et dont les rires moqueurs alimentent la frénésie générale.

Au tour du second suspect. Des coups de fouet lui ont déjà été donnés plus tôt dans la journée. Un widsé lui verse de l'eau sur le dos pour raviver les blessures séchées par le soleil. Il écope finalement d'une amende de 30.000 FCFA (45 euros).

"Quand le propriétaire est venu nous voir, on a mené une enquête et on a trouvé le voleur. On a interrogé des gens depuis hier soir", explique M. Kaboré, fier de ce jugement sur la place publique qui "sert d'exemple aux autres habitants".

Les suspects sont libérés. L'un d'entre eux se met à genoux devant une rangée d'anciens qui le réprimandent sur un ton paternaliste: "Dis que tu ne recommenceras plus à voler! Travailler pour manger vaut mieux que d'aller voler". Le jeune homme est obligé de répéter.

L'association des Kolgwéogo de Kokologho compte aujourd'hui 1200 adhérents dont 500 widsés, selon M. Kaboré.

Pas légal

"Avant sa création il y a trois ans, il y avait environ 20 vols par mois. Aujourd'hui, un ou deux. On a essayé de travailler avec la gendarmerie mais quand on leur apporte les voleurs, ils ne restent pas en prison et les victimes ne sont pas dédommagées", explique M. Kaboré.

Les Koglwéogo se sont donnés pour mission de lutter contre le banditisme et se substituent aux forces de sécurités officielles. Certains y voient un remède à la faiblesse des forces de l'ordre et de la justice. Leurs partisans accusent policiers et gendarmes d'être "inefficaces" et de régulièrement libérer sans sanction les délinquants.

D'autres critiquent cette justice expéditive qui inflige des châtiments corporels et violent les droits de l'Homme. Selon des témoins, les miliciens frappent et dépouillent des personnes accusées d'avoir commis des vols.

En février, des Koglwéogo ont tabassé à mort un présumé voleur à une centaine de kilomètres de Ouagadougou et refusé catégoriquement que la police interpelle les responsables. Après une réunion interne cette semaine, les Koglwéogo auraient renoncé aux coups mais veulent désormais humilier en public les présumés voleurs.

Devant la relative popularité du mouvement, le pouvoir reste évasif, appelant les Koglwéogo à se "soumettre à l'Etat de droit". "On ne peut pas dissoudre ce qui n'est pas légal", a dit fin février le président Roch Marc Christian Kaboré, élu fin novembre après une année de transition démocratique marquée par une tentative de putsch, dans un pays visé pour la première fois par une attaque jihadiste meurtrière en janvier.

Avec AFP