Elle fait partie de la nouvelle vague d'écrivains nigérians, loin de la littérature post-coloniale.
D'ordinaire, qui dit littérature nigériane pense aussitôt à Chinua Achebe, l'un des plus grands écrivains africains du 20e siècle, à qui l'on doit l'un des premiers best-sellers du continent ("Le Monde s'effondre", 1958), ou encore au prix Nobel Wole Soyinka, 83 ans.
Le roman d'Olumide Popoola, "When we speak about nothing" (Quand on parle de rien), paru en 2017, raconte l'histoire d'un adolescent gay parti à la recherche de son père inconnu jusqu'à la ville pétrolière de Port-Harcourt: "Une coquille de ciment", les bâtiments "à la peau desquamée, comme s'ils avaient besoin de crème hydratante".
L'auteure de 42 ans ans brise toutes les conventions sociales mais aussi les codes de l'écriture, entre descriptions cocasses et langage texto.
"Nous cherchons une autre manière de raconter des histoires africaines. Des histoires drôles, subversives", et non les éternels poncifs sur la pauvreté et les guerres, expliquait lors du lancement Emeka Nwankwo, représentant de l'éditeur Cassava Republic (qui signifie "la république du manioc').
"Ce qui se passe aujourd'hui au Nigeria est vraiment excitant. De nouvelles voix émergent après une longue période de quiétude", s'enthousiasme-t-il.
Une génération d'auteurs à succès est née au début des années 2000 avec la romancière Chimamanda Ngozi Adichie. Ses oeuvres, comme "L'Autre moitié du soleil" (2006) et "Americanah" (2015), sont aujourd'hui traduites dans des dizaines de langues et adaptées au cinéma.
Thriller palpitant
Lancée en 2006 à Abuja, Cassava Republic mène cette révolution littéraire, avec quelques autres éditeurs locaux comme Farafina et Bookcraft.
Cette petite maison d'édition a publié une cinquantaine de livres et son best-seller, "In Dependence", de Sarah Ladipo Manyika, s'est vendu à 1,7 million d'exemplaires - bien au-delà des frontières nigérianes.
De la science-fiction au polar, en passant par les questions touchant à l'homosexualité ou l'érotisme, Cassava Republic explore tous les genres, sans tabous.
"Season of Crimson Blossoms" (2015), d'Abubakar Adam Ibrahim, raconte l'improbable liaison entre une veuve quinquagénaire et un dealer, dans le nord conservateur et musulman du Nigeria. Il a reçu en 2016 le Nigeria Prize for Literature, le plus important prix littéraire du pays, doté de 100.000 dollars.
Dans un autre registre, "Mémoire d'une gorge profonde: soupes, sexe et autres saveurs nigérianes" est une ode déjantée à la nourriture locale - et à ses vertus aphrodisiaques. Sous des titres aussi évocateurs que "Soupe Afang et jambes poilues" ou "Manger du chien", l'auteure Yemisi Aribisala dévoile toute la puissance sensuelle de l'igname ou d'un poisson bien cuisiné... dont les Nigérians raffolent.
D'autres comme Leye Adenle ("Easy Motion Tourist", paru en français sous le titre Lagos Lady), nous entraînent dans un thriller palpitant au coeur de la bouillonnante Lagos, mégapole tentaculaire où s'entremêlent corruption généralisée, prostitution et trafics en tous genres...
Preuve de ce dynamisme dans le pays le plus peuplé d'Afrique (180 millions d'habitants): les librairies fleurissent un peu partout, proposant leurs ouvrages à des prix relativement abordables allant de 3.000 à 5.000 nairas (7 à 12 euros).
La communauté littéraire explose aussi sur la toile, comme en témoigne l'application Okadabooks, qui revendique 200.000 utilisateurs et un million de téléchargements de e-books.
"Il y a une vraie soif de littérature au Nigeria, et les éditeurs sont en train d'y répondre", confirme Lola Shoneyin, qui organise en novembre le Aké Festival d'Abeokuta (sud-ouest), rendez-vous incontournable des passionnés de lecture - dont beaucoup ont moins de 30 ans.
Politiques 'anti-intellectuelles'
Dans les années 60 et 70, la vie littéraire au Nigeria a connu une grande expansion, sous l'impulsion notamment d'éditeurs britanniques implantés dans le pays, raconte l'énergique jeune femme, elle-même poète et écrivain. Puis les dictatures militaires au pouvoir pendant près de 30 ans ont "paralysé l'industrie du livre" et étouffé la créativité en menant des "politiques anti-intellectuelles".
Les défis actuels restent cependant immenses pour les éditeurs nigérians.
Techniques, en premier lieu: la plupart de leurs oeuvres sont imprimées à bas coûts en Chine ou en Inde, même si certains commencent à relocaliser leur production.
Les livres n'échappent pas non plus au piratage massif qui affecte toute l'industrie culturelle au Nigeria, du cinéma à la musique. Grossièrement photocopiés en milliers d'exemplaires, ils sont vendus à la sauvette sur les marchés des grandes villes.
Enfin, la distribution reste "une expérience difficile", du transport à la recherche de points de vente fiables, explique la fondatrice de Cassava Republic, Bibi Bakare-Yusuf, sans se départir de l'indéfectible optimisme nigérian.
"Le manque d'infrastructures" comme les routes ou l'électricité permet aussi, selon elle, "de penser de façon plus créative et flexible à la manière de relever les défis".
Cassava voit grand. Après avoir ouvert des bureaux à Londres l'an dernier, l'éditeur vise le marché américain où il possède déjà un réseau de distributeurs qui va de San Fransisco à New York.
Avec AFP