Dans une salle spacieuse de sa résidence de N'Djamena, Succès Masra, le président du parti les Transformateurs, glisse lors d'une courte visite devant la presse quelques mots d'encouragements aux jeunes cadres de son parti concentrés sur leurs multiples écrans. "Le 7 (son numéro dans l'ordre des candidatures) est le cheval gagnant ici", lance-t-il en zyeutant un graphique sur la tablette d'un des jeunes.
En anticipation des résultats officiels qui devraient au plus tard être annoncés le 21 mai, "Transfoscore", une "application scientifiquement conçue" par le parti, doit permettre de "voir en temps réel, à la seconde près, les compilations de voix" du candidat de tous les bureaux du Tchad et ceux de la diaspora, explique Succès Masra.
Sans s'étaler sur la méthode de calcul utilisée ou l'avancée de la tâche colossale, l'économiste de 40 ans s'affiche "confiant et enthousiaste", conforté par ses chiffres dans sa promesse de remporter l'élection présidentielle "d'un coup K.O.", un de ses nombreux slogans de campagne.
"Dynastie Déby"
Succès Masra répond à la presse en français et en anglais, sous l’œil attentif de son équipe de communicantes, dans un bureau à la décoration ultra moderne où trônent un drapeau tchadien, ses récompenses, photos et souvenirs, parmi lesquels un large blason "Harvard Alumni" accroché au mur.
Dans la course à la présidentielle qui l'oppose à Mahamat Idriss Déby Itno, le chef de la junte et président de transition qui l'avait nommé Premier ministre quatre mois avant l'élection, Succès Masra affirme, ses propres chiffres à l'appui, que "les Tchadiens et Tchadiennes se sont déplacés massivement pour aller voter". "Je pense que c'est une première dans l'histoire de notre pays, ce qui est une indication sans doute très claire de leur volonté de voir un pays qui change", avance-t-il.
M. Masra est considéré par le reste de l'opposition, violemment réprimée et muselée, comme un "traître", et sa candidature comme le "vernis démocratique" d'une élection "jouée d'avance". Mais il a surpris tout le monde en rassemblant des foules considérables durant sa campagne, au point de se dire capable de l'emporter, sinon pousser M. Déby jusqu'au second tour, prévu le 22 juin.
Et de faire rêver ceux qui n'en peuvent plus de vivre, dans un des pays les plus pauvres du monde, sous la "dynastie Déby". Après 30 années au pouvoir, Idriss Déby Itno avait été tué par des rebelles en avril 2021 en se rendant au front, et l'armée avait immédiatement proclamé son fils Mahamat président de transition à la tête d'une junte de 15 généraux.
Trois ans plus tard, lundi, ce jeune général de 40 ans tentait de faire légitimer sa présidence dans les urnes. Nombre d'observateurs prédisaient jusqu'à récemment qu'il s'agirait d'une formalité, comme pour son père élu et réélu six fois après son coup d’État de 1990.
"Fraude"
Mais des ONG internationales ont émis des doutes sur une élection "ni libre, ni crédible" après que la junte eut violemment réprimé, jusque dans le sang, toute opposition et écarté de la course à la présidence les rivaux les plus sérieux du général Déby.
L'existence d'un "système de fraude depuis plusieurs élections" aurait poussé le camp de M. Masra à la méfiance à l'égard de l'Agence nationale de gestion des élections (ANGE), aux membres nommés par M. Déby, chargée du décompte des suffrages, assure à l'AFP un cadre des Transformateurs qui requiert l'anonymat.
Pour repérer les "irrégularités ou choses inappropriées" lors du scrutin, M. Masra a appelé ses ouailles à transmettre sur un site internet "photos, vidéos, audios" récoltées dans les bureaux de vote. Des contributions qui alimentent l'outil statistique développé par le parti, auxquelles s'ajoutent l'ensemble des informations dont Succès Masra indique disposer en tant que Premier ministre.
"La constitution me donne le droit de disposer de toute l'administration, civile et militaire, je peux appeler un préfet, un gouverneur, pour m'assurer que tout se passe bien", assure-t-il. "La confiance n'exclut pas le contrôle. J'aurais tous les procès-verbaux que l'ANGE aura et de la même manière j'ai tous les procès-verbaux envoyé par les citoyens. Les deux ensemble, je suis le garde-fou, pour m'assurer que la vérité des urnes soit respectée ni plus ni moins", se targue M. Masra.
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