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La Russie tous azimuts en Centrafrique


Un membre de l'unité de protection rapprochée du président centrafricain Touadera, composé de membres de sociétés de sécurité privées russes à Berengo, le 4 août 2018.
Un membre de l'unité de protection rapprochée du président centrafricain Touadera, composé de membres de sociétés de sécurité privées russes à Berengo, le 4 août 2018.

Après neuf mois de présence en Centrafrique, la Russie a investi dans de nombreux projets parmi lesquels la formation de l'armée et la diplomatie avec les groupes armés, au risque parfois de chambouler des processus déjà en cours dans ce pays chaotique.

Début 2018, cinq officiers militaires et 170 instructeurs civils sont arrivés de Russie à Bangui et Moscou a livré des armes à l'armée nationale - après avoir obtenu une exemption à l'embargo de l'ONU.

Déjà formés par l'Union européenne (EUTM), les Forces armées centrafricaines (Faca) ont bénéficié de cette nouvelle formation: depuis janvier, plus de 400 Faca ont pu être déployés à Dekoa (centre), Sibut (centre), Paoua (nord) et Bangassou (sud-est).

Principal chantier du président Faustin-Archange Touadéra depuis son élection en 2016 dans un pays où l'Etat ne contrôlait que Bangui et ses faubourgs, ce redéploiement massif permis par la présence russe est apprécié à Bangui.

Fort de ce succès que la présence onusienne (Minusca, depuis 2014) n'avait su permettre jusqu'alors, la Russie prévoit une nouvelle livraison d'armes et 85 instructeurs de plus, selon une source à l'ambassade de Russie à Bangui.

Fin juillet, trois journalistes russes qui enquêtaient sur les instructeurs russes, qu'ils soupçonnaient être des mercenaires du groupe de sécurité privée Wagner, ont été assassinés dans le nord du pays.

Revers de la médaille de ce redéploiement rapide: "il n'y a pas de chaine logistique derrière", selon un haut-gradé centrafricain.

Selon lui, cela pourrait conduire à "la même configuration qui a mené à l'effondrement de l'armée" en 2012, à savoir des hommes stationnés au même endroit longtemps, coupés de leur hiérarchie, qui touchent leur solde en retard et manquent d'entrainement régulier.

En août, des experts de l'ONU estimaient que, faute de ce soutien logistique nécessaire, les Faca "ne peuvent mener d'opérations sans l'appui opérationnel constant de la Minusca et/ou des instructeurs russes".

A Bambari récemment, dans le centre de la Centrafrique, des Faca en route de Bangui vers Bangassou ont été obligés d'attendre un ravitaillement de munitions venu de Bangui pour continuer leur route.

"Médiation parallèle"

Outre l'appui à l'armée, la Russie s'est ingérée dans la complexe médiation avec les groupes armés qui contrôlent la majorité du territoire.

Depuis juillet 2017, l'Union africaine (UA) mène officiellement les négociations. Mais, fin août, Moscou a réuni chez son allié soudanais, à Khartoum, quatre des principaux groupes armés pour y signer une "déclaration d'entente".

Au même moment, l'UA organisait une autre réunion avec les groupes armés, à Bouar (ouest). "Une simple coïncidence", assure à l'AFP Valeri Zakharov, conseiller sécurité russe du président centrafricain, soulignant que les deux processus sont "complémentaires" et "non-concurrents".

Si cette médiation parallèle a "agacé" les partenaires de la RCA, selon un observateur, son impact a été immédiat: "le sommet de Khartoum a poussé l'Union Africaine à agir plus vite", note une source diplomatique à Bangui.

"Mais elle a fragilisé les équilibres au sein des groupes armés", continue la même source, évoquant notamment des tensions au sein du Mouvement patriotique pour la Centrafrique (MPC) de Mahamat Al-Khatim) quand certains commandants ont appris que leur chef s'était rendu à Khartoum.

A Bangui, le gouvernement a "pris acte" de cette "initiative" russe en rappelant soutenir la médiation de l'UA.

Opportunités d'investissement

Si l'implication croissante de la Russie en Centrafrique s'inscrit dans une stratégie de reconquête géopolitique et économique du Kremlin en Afrique, la présence russe reproduit à Bangui un "scénario très ancien", selon Thierry Vircoulon, chercheur à l'Institut français des relations internationales (Ifri).

Pour lui, l'exécutif centrafricain a souvent "eu recours à un fournisseur de sécurité étranger qui (lui) paraît plus fiable que (ses) troupes", du fait de sa "faible assise politique et de la division des forces de sécurité".

Citant l'allié français pour André Kolingba (1985-1993), libyen pour Ange-Félix Patassé (1993-2003) et sud-africain pour François Bozizé (2003-2013), le chercheur estime que "cette protection présidentielle se monnayait en ressources naturelles".

Depuis l'arrivée des instructeurs russes début 2018, plusieurs entreprises gérées par des Russes ont de fait vu le jour à Bangui.

Parmi elles, Lobaye Invest, qui a récemment obtenu un permis de recherche minière (à Yawa, ouest) et de reconnaissance minière (à Pama, ouest).

Trois autres sociétés ont de même été récemment créées par des Russes, dont une, le Groupe financier international, qui "pourrait être un véhicule d'investissement" pour d'autres sociétés, selon un observateur.

Par ailleurs, la Russie étudie les opportunités d'investissement dans le secteur des abattoirs, de la conservation, du monde agricole et du traitement du bois, selon une source proche de l'ambassade de Russie.

Avec AFP

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