Environ 400 manifestants menés par l'opposition et des chefs traditionnels des communautés affectées ont défilé dans la capitale Windhoek avant d'escalader une clôture pour entrer dans le bâtiment du parlement, arguant que la somme était trop faible et objectant qu'ils n'étaient pas impliqués dans les négociations avec l'Allemagne.
Les protestataires brandissaient des pancartes sur lesquelles on pouvait lire: "Dites non au faux accord de génocide"; "Le sang de nos ancêtres n’a pas été vain", ou encore "Une réparation appropriée maintenant", rapporte The Press Free.
"Le soi-disant accord est un mépris flagrant de nos demandes légitimes de réparation et de restitution", indique une pétition remise au vice-président du parlement Loide Kasingo.
"L'accord échoue (...) sur des excuses et des réparations significatives (...) (et) ne contient aucune justice et ne fait qu'aiguiser notre douleur", a déclaré Kavemuii Murangi, un descendant de l'une des victimes, dans un communiqué cité par Reuters.
"Nous considérons cela comme une insulte. Dans ce processus, le rôle attribué au gouvernement namibien se limitait à celui de facilitateur, or nous avons été exclus de l’accord.", a déclaré Nandiuasora Mazeingo, président de la Fondation du génocide d'Ovahereron.
L'avis du gouvernement
Le ministre de la Défense Frans Kapofi a lu devant l’Assemblée nationale une déclaration décrivant l'accord comme "une réussite, dans une certaine mesure, pour que la République fédérale d’Allemagne accepte la responsabilité" du génocide.
"En fonction des négociations entre les parties, une amélioration des modalités des réparations, notamment sur le quantum, n’est pas exclue", a affirmé M. Kapofi, signalant que les autorités de Windhoek avait exprimé leurs préoccupations concernant le montant des réparations promises par Berlin.
Le président Hage Geingob avait demandé au Parlement d'approuver l'offre allemande et d'appeler à une renégociation ultérieure.
L'idée de futures renégociations n'en convainc pas plus d'un.
Le chef du Parti du Mouvement démocratique populaire, McHenry Venaani, a déclaré à VOA qu'on ne peut pas renégocier un accord international une fois qu'il a été accepté. Il a ajouté que l'Allemagne n'était pas venue à la table des négociations les mains propres et que les parties intéressées comme les descendants Herero et Nama de la diaspora n'étaient pas représentées.
Mardi 21 septembre, l'opposition a présenté au parlement une pétition demandant le rejet de l'accord.
Exigences des victimes du génocide
Les opposants à l'accord estiment que le montant offert par l'Allemagne en compensation (1,1 milliard d'euros, ce qui se traduit par 18,1 dollars namibiens), n'est pas suffisant.
Le chef du Parti du mouvement démocratique du peuple, McHenry Venaani, a confié à VOA que, compte tenu de la dépréciation, cette somme équivaudrait à un budget d'un an pour la Namibie). Ministère de l'Éducation.
"[1,3 milliard de dollars,] voilà tout ce qu’ils offrent pour avoir liquidé 80 % de mon peuple et 50 % des Nama. Ils ont pillé notre pays et leurs descendants sont toujours installés sur nos terres.", s'offusque pour sa part Nandiuasora Mazeingo.
La somme sera versée sur 30 ans, selon des sources proches du dossier des négociations et doit avant tout bénéficier aux descendants des Herero et des Nama.
Sans donner les détails exacts des fonds, Berlin a indiqué que les fonds seraient affectés à des projets liés à la réforme agraire, aux infrastructures rurales, à l’approvisionnement en eau et à la formation, affirment les medias. Les communautés concernées seront impliquées et bénéficieront de ces projets.
Plusieurs Namibiens, à l'instar de Nandiuasora Mazeingo, pensent que les Nama et les Ovaherero (ou Hereros) devraient pouvoir être libre dépenser l’argent comme ils l’entendent, peut-être pour amèliorer les conditions de leur vie. De nombreux descendants des victimes du génocide vivent par exemple sans accès à la terre et à l’eau potable, non loin du cimetière de Swakopmund où se trouve le bidonville "Communauté Démocratique de Réinstallation" ou Democratic Resettlement Community (DRC).
Les représentants Nama et Ovaherero ont juré de continuer à s’opposer à l’accord.
L'Association des Chefs Traditionnels Nama et la Fondation du Génocide contre les Ovaherero ont fait remarquer que les communautés Ovaherero et Nama qui ont fui le génocide au Botswana et en Afrique du Sud ne sont pas couvertes par l’accord, à en croire Equal Times. "La Namibie a trahi l’Afrique en omettant de demander des comptes à une ancienne puissance coloniale génocidaire européenne", ont-ils affirmé dans une déclaration commune, cité par Equal Times.
Ils devraient préparent une pétition demande que les réparations promises par Berlin soient versées directement aux descendants des victimes du génocide plutôt qu’au gouvernement namibien. De plus, l’Allemagne devra accepte l’entière responsabilité des massacres et le libellé "accord de réparation" remplace "accord de réconciliation", mentionne Equal Times
L’un de ses dirigeants, Gerson Katjirua, explique qu'une faction pro-gouvernementale des Herero et Nama a provisoirement accepté l’offre de l’Allemagne.
Ouvrir la mémoire de l'histoire
Certains descendants de rescapés du génocide estiment que la réconciliation passe nécessairement par un dialogue franc, sincère et ouvert sur les faits commis.
"Pour parler de réconciliation, il faut d’abord dire les choses telles qu’elles se sont passées, ce qui n’a jamais été le cas en Namibie. Pas en ce qui concerne le génocide, ni plus récemment pour ce qui est de la lutte de libération de la Namibie", affirme l’anthropologue Heike Becker, dont les écrits sur la Namibie abondent.
Laidlaw Peringanda, cité, comme M. Becker par Equal Times, et dont l'enfance a été bercé par des récits du génocide racontées par sa famille, renchérit en ces termes: "Les descendants des victimes et des bourreaux subissent un traumatisme transgénérationnel. Il s’agit en somme de guérir les blessures du passé pour avoir un meilleur avenir ".
Peringanda accompagne désormais les visiteurs dans le cadre d’une visite guidée consacrée au génocide de Swakopmund. Il raconte que lorsque des touristes allemands visitent le cimetière et voient ces tertres funéraires pour la première fois, ils pleurent...comme lui. Pour lui, la réaction de ces visiteurs montrent qu'ils n’ont jamais entendu parler du génocide commis par leur pays.
Reconnaissance du génocide par Berlin
Windhoek a annoncé le 28 mai que l'Allemagne avait accepté de financer des projets d'un milliard d’euros (1,3 milliard de dollars) sur 30 ans en Namibie, pour compenser les meurtres et les saisies de biens dans son ex colonie d'Afrique du Sud-Ouest d'il y a plus d'un siècle.
Le gouvernement avait précédemment reconnu la "responsabilité morale" des meurtres, mais il avait évité de présenter des excuses officielles pour éviter les demandes d’indemnisation. Puis, le 28 mai, l'Allemagne s'était excusée pour son rôle dans le massacre des tribus Herero et Nama et a officiellement qualifié pour la première fois le massacre de génocide.
En 2015, l’Allemagne a entamé des négociations formelles avec la Namibie sur la question et en 2018, elle a restitué des crânes et d’autres restes de tribus massacrés qui ont été utilisés dans les expériences de l’ère coloniale pour affirmer des revendications de supériorité raciale européenne.
Des milliers de victimes du génocide
Le génocide avait pour élément déclencheur une révolte des Ovaerero et des Nama. La Namibie était alors une colonie de l’Allemagne de 1884 jusqu’à ce qu’elle perde la colonie pendant la Première Guerre mondiale.
En 1904, les tensions explosent lorsque les Herero – privés de leur bétail et de leurs terres – se soulèvent, suivis peu après par les Nama.
Le général allemand Lothar von Trotha, fut envoyé pour mater la rébellion. Le cimetière deviendra la dernière demeure de milliers d’Ovaherero (également connus sous le nom Herero).
Le général von Trotha donna l'ordre d'exterminer des peuples aux soldats sous son commandement, qui, par ailleurs, étaient d’une brutalité sans nom. Les soldats coloniaux ont alors procédé à des exécutions massives.
"Tout Herero trouvé à l’intérieur de la frontière allemande, avec ou sans arme ou bétail, sera exécuté. Je n’épargnerai ni femmes ni enfants.", rappelle l'activiste politique namibien, Henning Melber.
Les personnes qui n’ont pas été abattues ont été exilées dans le désert pour y mourir de faim et de soif. D'autres survivants, hommes, femmes et enfants, ont été regroupés et internés dans des camps de concentration, comme celui de Shark Island, pour être utilisés comme esclaves, certains mourant de froid, de malnutrition et d'épuisement. De plus, les colons allemands ont confisqué leurs terres pour s’y installer.
"Mon arrière-grand-mère m’a parlé du camp de concentration. J’avais huit ans et je pensais qu’il ne s’agissait que d’une de ces vieilles fables ou quelque chose du genre. Mais quand je m’y suis rendu en 2015 et que j’ai vu pour la première fois de mes propres yeux l’étendue du cimetière, j’ai fondu en larmes.", témoigne Laidlaw Peringanda à Equal Times.
Personne ne sait exactement combien d’Ovaherero et de Nama sont morts entre 1904 et 1908. Selon les estimations, environ 80 % des Ovaherero auraient péri, et les Nama, quant à eux, auraient perdu la moitié de leur population. Les forces coloniales allemandes ont donc tué des milliers de Herero et Nama suite à cette rébellion.
Selon les historiens, jusqu’à 65 000 des 80 000 Hereros et au moins 10 000 des 20 000 Nama comptabilisés ont perdu la vie pendant ce génocide.
En 2020, l’ancien combattant de la libération Uazuvara Katjivena a publié son livre, Mama Penee : Transcending the Genocide. Il y relate l’histoire de sa grand-mère, qui a assisté au meurtre de ses parents alors qu’elle n’avait que 11 ans. Après l’avoir contrainte à l’exil dans le désert et à une mort quasi-certaine, les Allemands l’ont capturée et l’ont fait passer de famille en famille, avant de recevoir le nom de Petronella, qui signifie petit rocher, à cause de sa têtutesse.
Aujourd'hui, ses descendants s'entêtent aussi à faire perdurer la mémoire des leurs, péris dans les camps de concentration que les Allemands ont érigés aux abords de Swakopmund, victimes du premier génocide reconnu du vingtième siècle.