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Les Ethiopiens rejettent la paix avec l'Erythrée dans la ville frontalière de Badme


Le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed à Khartoum, le 2 mai 2018
Le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed à Khartoum, le 2 mai 2018

Le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed veut mettre fin à des décennies de conflit avec l'Erythrée voisine mais pour cela, il devra d'abord convaincre les habitants de la ville frontalière de Badme que se disputent les deux pays.

Réseau poussiéreux de bars, de cafés et de petits hôtels contrôlé par l'Ethiopie mais qu'une commission de l'ONU a attribué à l'Erythrée, cette localité a été au centre du conflit qui a opposé l'Ethiopie et l'Erythrée de 1998 à 2000.

Les habitants de Badme veulent qu'elle reste éthiopienne malgré les déclarations de M. Abiy affirmant qu'il la remettra à l'Erythrée, tentant ainsi de mettre un terme à la guerre froide entre les deux pays.

"Nous n'allons pas donner un territoire au nom de la paix", déclare, méfiant, un responsable administratif local, Tilahun Gebremedhin.

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L'annonce la semaine dernière par M. Abiy que l'Ethiopie allait respecter la décision sur le tracé de la frontière rendue en 2002 rompt avec la politique menée par l'Ethiopie depuis des années, répond à une demande de longue date de l'Erythrée et ouvre la voie à une normalisation des relations entre les deux pays.

Mais elle signifie aussi que les 18.000 Ethiopiens vivant à Badme pourraient se retrouver sous la coupe de leur ancien ennemi.

La frustration provoquée par la décision de M. Abiy s'est traduite par une manifestation de protestation dans les rues de la ville lundi.

Le Front de libération du peuple tigréen (TPLF), qui dirige Badme, a réclamé une réunion d'urgence de la coalition au pouvoir en Ethiopie sur ce dossier.

"Les Erythréens pourront commencer à vivre ici une fois que je ne serai plus là. Mais pas avant", avertit Selase Gebremeskel, une femme de 80 ans qui a passé l'essentiel de sa vie à Badme.

- Cicatrices de guerre -

L'acceptation du tracé de la frontière figurait parmi une série de réformes annoncées par M. Abiy, 42 ans, qui a pris ses fonctions en avril après des années de manifestations antigouvernementales et de troubles politiques qui avaient précipité la fin de son prédécesseur.

Ex-province éthiopienne, l'Erythrée a fait sécession en 1993, privant l'Ethiopie de son seul accès à la mer.

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La ville de Badme est alors tombée sous contrôle éthiopien mais l'Erythrée s'y est opposée et l'a occupée pendant neuf mois, ce qui a déclenché la guerre entre les deux pays.

Les habitants se souviennent de cette époque comme d'une période de torture, de coups et d'extorsions.

"Nous ne savions pas s'ils étaient mauvais ou bons. Mais après leur invasion de Badme, nous avons découvert qu'ils étaient mauvais", se rappelle Fissahy Gebremedhin, un policier qui a vécu sous cette occupation.

Un traité de paix signé en 2000 a mis fin à la guerre, après environ 80.000 morts, mais le rejet par l'Ethiopie du tracé de la frontière a entraîné le maintien de mauvaises relations entre les deux pays et fait de Badme une ville frontalière sur une frontière fermée.

Cette semaine, les troupes éthiopiennes sont restées en position de tir à moins de trois kilomètres deBadme. Comme les habitants de la ville, les soldats ne donnent aucun signe de départ. "Un oiseau ne partirait pas, encore moins un être humain !", s'exclame Tilahun.

- "Cette terre nous appartient" -

L'Ethiopie a encouragé l'installation d'habitants à Badme après la guerre. La ville possède une nouvelle école mais donne l'impression d'être loin de tout et d'un autre âge, coincée au bout d'une piste, loin de toute autre localité et toujours parsemée des ruines de maisons détruites pendant la guerre.

Des chercheurs d'or ont afflué récemment vers Badme, donnant un coup de fouet à l'activité des bars. Des bagarres entraînées par la consommation de bière ponctuent désormais les soirées.

>> Lire aussi : L'Ethiopie annonce mettre fin à son litige frontalier avec l'Erythrée

Ces nouveaux venus rejoignent des vétérans de la guerre, peu impressionnés par un jugement rendu par des étrangers et tardivement reconnu par des politiciens de la lointaine capitale Addis Abeba.

"Ils sont assis là et vendent notre pays, mais cette terre nous appartient", lance l'ex-soldat Mekonen Tadese Getebo en martelant le sol avec une branche.

L'Ethiopie est un pays pauvre mais en plein essor et le Premier ministre cherche à pérenniser cette croissance, alors que le pays est confronté à une dette de plus en plus lourde et à une pénurie de devises étrangères.

Les projets de M. Abiy de libéralisation de secteurs importants de l'économie pourraient soutenir la croissance. De même, l'abandon de Badme, qui permet d'espérer de meilleures relations avec l'Erythrée et l'accès à nouveau aux ports sur la mer Rouge, pourrait encourager le commerce.

Mais aider l'économie éthiopienne importe peu à Badme.

Qu'adviendra-t-il du cimetière située à la lisière de la ville, où sont enterrés des dizaines de soldats éthiopiens, dans des tombes peintes aux couleurs de leur pays, s'interroge Tilahun.

"Nous ne pensons pas que l'Erythrée prendra Badme", dit-il, fixant le cimetière. "Mais s'ils le font, ils peuvent nous enterrer ici nous aussi".

Avec AFP

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