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Butembo pleure sa prospérité passée


La vie à Butembo, dans le Nord-Kivu, RDC, 25 août 2016.
La vie à Butembo, dans le Nord-Kivu, RDC, 25 août 2016.

Une estimation du chômage à Butembo ? La question paraît si saugrenue au maire adjoint Godefroid Kambere Matimbya qu'il part d'un petit rire nerveux. "Le chômage, c'est normal chez nous, parce qu'il n'y a pas d'entreprises", dit-il en s'agitant

Selon M. Kambere, "ça fait quelque dix ans que ça ne va pas" à Butembo, ville de plus de 1,1 million d'habitants du Grand Nord, la partie septentrionale du Nord-Kivu, dans l'est de la République démocratique du Congo.

Riche en minerais, forêts et terres arables, la province du Nord-Kivu est déchirée par les conflits armés depuis plus de vingt ans.

La limonaderie Cobeki, alors seule véritable entreprise industrielle de la ville, a cessé sa production dans la période de transition entre la fin de la deuxième guerre du Congo (1998-2003) et les élections de 2006, qui allaient confirmer Joseph Kabila à la présidence de la République.

À Butembo ("la ville des ficus" en kinande, la langue des Nande, ethnie dont les membres considèrent cette cité comme leur capitale), la fermeture de l'usine marque encore les esprits des aînés.

L'euphorie démocratique de 2006 a vite fait long feu au Nord-Kivu, où diverses rébellions se succèdent, cohabitent ou s'affrontent, toujours sur le dos de la population.

La violence - plus de 700 personnes tuées dans des massacres à répétition - qui frappe depuis octobre 2014 la région de Beni, l'autre ville du Grand Nord, à une soixantaine de kilomètres au nord de Butembo, achève de consumer à petit feu l'activité.

"L'insécurité, c'est le grand problème", concède Polycarpe Ndivito Kikwaya, président de l'antenne locale de la Fédération des entreprises du Congo (FEC, patronat).

Historiquement, Butembo a bâti son développement sur la culture du café et le commerce, d'abord avec l'Europe, puis l'Asie.

- 'Aux dépens de la Providence' -

Avant les troubles de la décennie 1990, on venait de très loin pour trouver en ville les biens de consommation ou d'équipement que le pays - parmi les moins développés de la planète - ne produit pas : électroménager, machines, habits, chaussures...

Nostalgique, Polycarpe Ndivito se souvient des commerçants affluant de Bunia ou Kisangani, en Province-Orientale (nord-est de la RDC), ou même du Kasaï (centre), d'où il serait aujourd'hui chimérique de vouloir venir par voie terrestre.

Les marchandises continuent d'arriver du port kényan de Mombasa via l'Ouganda mais en nombre "très, très bas", dit M. Kambere. "Avec l'insécurité, les acheteurs ne viennent plus de peur d'être dépouillés" sur le trajet, explique M. Ndivito.

Le marché du territoire de Beni, vers lequel les commerçants de Butembo pouvaient encore espérer réaliser des ventes il y a deux ans est aujourd'hui totalement sinistré.

"La population est chassée de ses champs et elle vit aux dépens de la Providence", explique M. Kambere.

À la sortie de la ville, l'usine Crystal produit du savon en barre et en pains individuels. Les deux énormes cuves de stockage d'huile de palme achevées en 2013 n'ont jamais été remplies. À l'époque, on était optimiste. Aujourd'hui, la direction dit se battre pour verser chaque mois les salaires.

Le savon Crystal sert autant à se laver qu'à faire la lessive ou la vaisselle. "Nous nous adressons à une population pauvre dont les conditions de vie sont de plus en plus difficiles", et les clients de Beni "ne viennent plus", déclare Kahiwa Kahongya, gérant de l'usine.

Sur les marchés, on achète généralement le savon au centimètre, prélevé sur la barre, en fonction de ses moyens.

Butembo a passé l'essentiel de la deuxième guerre du Congo sous la coupe du RCD/K-ML, milice soutenue par l'Ouganda. Paradoxalement, on se souvient de ces années comme d'une période prospère.

"Pendant la rébellion on pouvait faire passer les marchandises" par l'Ouganda, et "le commerce a été fructueux et florissant", la "rébellion a été profitable pour la population contrairement à" ce qui se passe aujourd'hui, remarque Élie Kwiravusa, une des jeunes voix de la Coordination de la société civile de Butembo.

Les Bubolais (habitants de la ville) jugent plutôt sévèrement le bilan économique du gouvernement sortant dont se gargarisait à coup de statistiques macroéconomiques son chef, Augustin Matata Ponyo.

M. Kabila a nommé jeudi un nouveau Premier ministre, l'opposant Samy Badibanga, dans le cadre d'un accord censé lui permettre de rester à la tête de l'État au-delà de la fin de son mandat, le 20 décembre, faute d'élection avant cette date.

Selon un prêtre qui préfère garder l'anonymat, on voit monter à Butembo "la frustration" d'une population largement miséreuse.

- Boulevard Joseph-Kabila -

Ici, les résultats de la "Révolution de la modernité" promise par le président semblent se limiter aux deux routes asphaltées de la ville : le boulevard Joseph-Kabila, et le boulevard Julien-Paluku (du nom du gouverneur de la province).

De l'eau potable point, et de l'électricité non plus. A la savonnerie Crystal, l'énergie nécessaire provient d'une machine à vapeur alimentée par une chaudière à bois.

En 2006, M. Kabila avait réuni sur son nom dès le premier tour plus de 75% des suffrages exprimés à Butembo. La population plaçait alors en lui ses espoirs de paix et de reconstruction. Cinq ans plus tard, après une modification constitutionnelle ayant ramené le scrutin à un tour, il n'y a recueilli que 17,4%, loin derrière Antipas Mbusa Nyamwisi (44,7%), l'ancien chef du RCD/K-ML, aujourd'hui en exil.

Plusieurs notables nande insistent sur le fait que la ville a été construite "par ses fils, sans l'aide de l'Etat".

Comme ailleurs au Congo, l'Église catholique joue un grand rôle dans la vie sociale en lieu et place de l'État. L'Université catholique du Graben (UCG), qui s'étend dans un écrin de verdure sur les hauteurs de la ville, produit sa propre électricité à l'aide d'un petit barrage et offre à ses 1.500 étudiants des conditions d'étude dont rêveraient bien des jeunes Congolais.

Mais pour quel avenir ? "Il n'y a pas de boulot, dit un responsable étudiant, alors les diplômés se débrouillent. Vous finissez en économie, vous devenez taxi-man. Vous finissez en droit, vous devenez taxi-man" aussi.

Avec AFP

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