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Tunisie : victime de la marginalisation, Kasserine demande réparation


Dans une rue de Kasserine, où une affiche dit "Kasserine, nous avons besoin de travail", en Tunisie, le 1er avril 2016.
Dans une rue de Kasserine, où une affiche dit "Kasserine, nous avons besoin de travail", en Tunisie, le 1er avril 2016.

Historiquement délaissé par le pouvoir central, Kasserine, dans le centre de la Tunisie, est le premier territoire à avoir réclamé le statut de "région victime" auprès de l'Instance vérité et dignité (IVD). Une démarche qui suscite des attentes mais aussi du scepticisme au sein de la population.

A l'heure où la Tunisie s'apprête à écouter des premières victimes de la dictature lors d'auditions publiques retransmises à la télévision jeudi et vendredi, des militants de la société civile veulent que la marginalisation par l'Etat de régions entières soit admise haut et fort.

"L'Etat doit reconnaître qu'il a délaissé la région de Kasserine et l'a privée des droits les plus élémentaires à une vie digne durant des années et des années", déclare à l'AFP Zina Mhamdi, présidente du bureau régional du Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES).

C'est cette ONG qui a porté le dossier de Kasserine devant l'IVD, chargée en cinq ans maximum de recenser et réhabiliter les victimes d'atteintes aux droits de l'Homme, principalement sous les présidences de Habib Bourguiba (1957-87) et Zine El Abidine Ben Ali (1987-2011).

Les documents, préparés avec l'aide d'Avocats sans frontières (ASF), démontrent que la situation socio-économique de Kasserine est "la plus dégradante" en Tunisie, fait valoir Souad Tlili, une responsable du bureau du FTDES à Kasserine.

Reconnaissance et réparation

Kasserine "est le gouvernorat aux records les plus tristes. Plus d'un travailleur sur quatre est au chômage, un foyer sur trois n'a pas d'accès à l'eau potable et le taux d'analphabétisme atteint 32%, contre 12% à Tunis", relève l'ONG.

Premier dossier du genre déposé auprès de l'IVD, la démarche a rapidement essaimé. Une trentaine de régions --dont des quartiers-- ont fini par vouloir se constituer "région victime", via des associations et des ONG.

Pour le FTDES, il s'agit plus largement de poser "la question des inégalités régionales provoquées" par des régimes dont les chefs ont souvent choyé leurs fiefs du littoral.

"Certaines régions ont été tenues à l'écart de tout processus de développement" et Kasserine "est l'exemple flagrant" de ces politiques qui ont eu pour conséquence "d'exclure les populations de l'accès aux droits économiques et sociaux les plus élémentaires, tels l'éducation, la santé", dit le FTDES.

Qu'attendre précisément de ce processus? D'abord que l'Etat reconnaisse ses torts, selon Souad Tlili, afin de "garantir la non-répétition de la politique de marginalisation".

Mais il doit aussi aboutir à des "dédommagements" envers une région qui vit toujours "dans la pauvreté et la misère", ajoute-t-elle. Une telle démarche, inédite, pourrait apaiser le sentiment d'injustice dans la population, plaide-t-elle.

Car cinq années et demie après la révolution partie d'une autre région défavorisée (Sidi Bouzid), le feu couve toujours.

En janvier, c'est de Kasserine qu'est parti le plus important mouvement de contestation sociale depuis la chute de Ben Ali.

Scepticisme et frustration

Dans la ville, où la misère saute aux yeux avec des routes cabossées et des logements décrépis, le temps semble toutefois avoir eu raison des espoirs de certains habitants.

Plusieurs personnes interrogées par l'AFP affirment ne pas avoir entendu parler de l'IVD. D'autres se disent ouvertement désabusées.

"Rien ne va changer à Kasserine!", clame ainsi Jihed Rtibi, 30 ans, au chômage. "Ni cette IVD ni personne ne va faire quoi que ce soit pour nous. Il n'y aura ni investissements ni travail", promet-il.

Ici, "nous n'avons que les cafés ou les bars pour nous divertir", lance-t-il. "C'est la politique de l'Etat et sa marginalisation méthodique de la région qui poussent les jeunes à rejoindre les terroristes", s'emporte-t-il, en référence aux groupes jihadistes présents notamment dans les montagnes avoisinantes.

Abdallah Biri, 71 ans, n'est guère plus optimiste.

"Des paroles, que des paroles. Les gens réclament du concret, des solutions à leur pauvreté", souligne le retraité, qui blâme la classe politique pour les "multiples promesses non tenues" depuis la révolution.

C'est elle, accuse-t-il, qui est "à l'origine de désintérêt total des gens pour tout ce qui se passe autour d'eux".

Etudiant, Hazem Rezgui dit savoir ce qu'est l'IVD. Mais il relève au passage être au courant des dissensions internes qui ont fait couler beaucoup d'encre ces derniers mois.

"Avant de résoudre ceux des autres, l'IVD doit d'abord trouver des solutions à ses problèmes", assène-t-il.

Avec AFP

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