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Les orphelins du conflit de Boko Haram, abandonnés dans la jungle urbaine


Vaccination d'enfants d'un camp de déplacés contre la polio, Maiduguri, Nigeria, Aug. 28 aoùt 2016.
Vaccination d'enfants d'un camp de déplacés contre la polio, Maiduguri, Nigeria, Aug. 28 aoùt 2016.

Au petit matin, après une nuit passée sur les trottoirs de Maiduguri, une bande de gamins prennent d'assaut un vieux parc d'attractions abandonné et grimpent sur un manège dont les couleurs ont fini par s'écailler et blanchir sous le soleil brûlant.

Les chevaux de bois ont beau être immobiles, le cadre apocalyptique et leurs vêtements en lambeaux, les garçons rient comme s'ils étaient à Disneyland, oubliant leurs ennuis pendant ce bref moment d'insouciance.

Ils font partie des milliers d'enfants devenus orphelins avec l'insurrection djihadiste de Boko Haram, qui vivent aujourd'hui dans la capitale de l'Etat de Borno, dans le nord-est du Nigeria.

"Personne ne s'occupe d'eux, alors ils viennent ici jouer. Ils devraient être à l'école mais ils n'y ont pas accès. Cela fait vraiment de la peine à voir", déplore auprès de l'AFP Salisu Ismail, 42 ans, qui travaille à proximité du parc d'attractions.

Boko Haram est né à Maiduguri. La pauvreté généralisée, le chômage élevé et la corruption du gouvernement ont permis à cette secte religieuse de prospérer au sein de la population avant même de devenir un mouvement djihadiste sanglant.

Tous les moteurs reconnus de la radicalisation sont toujours réunis et les responsables de la ville craignent que Maiduguri reste un terrain fertile pour l'extrémisme.

Comment ramener des milliers d'enfants sans abri à l'école dans une région désespérément pauvre où l'éducation n'a jamais été prioritaire mais reste la clé pour prévenir un autre soulèvement djihadiste?

"Selon les chiffres officiels, nous avons plus de 52.000 orphelins dans le Borno", affirme à l'AFP le gouverneur de l'Etat, Kashim Shettima. "Mais en réalité, les orphelins sont sans doute plus de 100.000, dont la moitié à Maiduguri. Sans éducation, ces jeunes deviendront des monstres qui nous consumeront tous", lance-t-il.

Boko Haram signifie en langue haoussa "l'éducation occidentale est un péché". Ces combattants ont multiplié les attaques contre les écoles et les enseignants et leur offensive contre l'éducation empêche le développement.

Dans certains camps de déplacés, situés dans les zones reculées à la frontière du Niger et du Cameroun et où la guerre continue de faire rage, il n'y a aucune école.

À Maiduguri, dont la population a doublé pour atteindre plus de deux millions à la suite de l'afflux de civils fuyant les violences, des milliers d'autres enfants passent à travers les mailles du filet.

"Beaucoup ne sont jamais allés à l'école", affirme Samuel Manyok, spécialiste de la protection de l'enfance à l'Unicef, estimant que le nombre de jeunes déscolarisés atteint ceux "de la Somalie et du Soudan du Sud cumulés".

Ecoles submergées

Assise sur une table en béton fixée au milieu du parc d'attractions, la jeune Aisha (prénom modifié), 15 ans, confie qu'elle n'a plus aucune nouvelle de sa famille depuis l'irruption de Boko Haram dans son village, en 2015.

Ses parents ont refusé qu'elle épouse un combattant du groupe, raconte-t-elle. Boko Haram a tué son père "sur le champ" et a jeté sa mère dans une cellule de fortune, remplie d'urine et d'excréments, jusqu'à ce qu'elle craque et finisse par laisser sa fille partir avec eux.

Aisha a passé les derniers jours de son enfance dans la forêt de Sambisa, dernier bastion de Boko Haram. "Il s'est introduit en moi", confie-t-elle pudiquement en évoquant les viols à répétition dont elle a été victime de la part de son ravisseur.

De ses souvenirs d'adolescente, Aisha raconte comment les combattants fixaient des ceintures explosives sur ses camarades, leur promettant le paradis et, surtout, 50.000 nairas (145 euros) pour leur famille.

En décembre dernier, lorsque l'armée nigériane a repris le contrôle de la forêt de Sambisa, les soldats ont libéré Aisha et l'ont emmenée en sécurité à Maiduguri. Elle vit désormais seule dans un camp de déplacés, où elle ne va pas à l'école.

Qu'aimerait-elle faire plus tard ? Elle n'y a jamais réfléchi. "J'aime bien les vêtements", finit-elle par souffler.

Les écoles de Maiduguri ont été submergées par les dizaines de milliers de déplacés du conflit venus s'y réfugier. Elles ont rouvert en septembre dernier, mais leur capacité n'est pas suffisante pour accueillir tous les enfants de la ville.

Le gouverneur ambitionne de construire "20 nouvelles écoles" supplémentaires à travers le Borno et de construire un orphelinat de 8.000 places.

Mais cela dépendra avant tout de la générosité des donateurs, mobilisés par la grave crise alimentaire qui s'est abattue sur la région, et du gouvernement fédéral, dont les projets se perdent souvent dans les méandres d'une administration lente et corrompue.

Pourtant, si ce problème n'est pas urgemment résolu, il est probable que le nord-est du Nigeria ne puisse jamais mettre fin à la spirale de violences.

"Ces enfants ont besoin d'une seconde chance", explique M. Mayok de l'Unicef. "C'est une bombe à retardement".

Avec AFP

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