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Dans le delta du Niger, les rêves brisés nourrissent la rébellion


L'ancien dirigeant nigérians Goodluck Jonathan salue la foule à Abuja, Nigeria, le 29 mai 2015.
L'ancien dirigeant nigérians Goodluck Jonathan salue la foule à Abuja, Nigeria, le 29 mai 2015.

Après deux ans de fonctionnement, l'Université maritime du Nigeria n'a pas eu le succès escompté par le gouvernement.

Quand, il y a deux ans, l'ancien président nigérian Goodluck Jonathan a posé la première pierre d'une nouvelle université, dans le delta du Niger, la population de cette région pauvre s'est réjouie.

L'Université maritime du Nigeria était censée offrir un avenir à la jeunesse désoeuvrée de cette région marécageuse riche en pétrole, mais totalement sous-développée.

Au lieu de prendre les armes, de faire sauter des oléoducs et de s'en prendre aux soldats, dans les innombrables criques pénétrées par la mangrove, les jeunes du delta du Niger étaient prêts à se plonger dans les livres.

Mais le chantier a été interrompu, et les bulldozers jaunes sont à l'arrêt dans la forêt d'Okerenkoko, un village situé à une trentaine de minutes en bateau de la grande ville de Warri, dans l'Etat de Delta.

Dans le village voisin de Kurutie, l'école de plongée qui devait servir d'université temporaire est fermée elle aussi.

Aujourd'hui, l'Université maritime du Nigeria est devenue un symbole des rêves brisés des habitants de la région, des pêcheurs aux rebelles, tous unis contre le gouvernement du président Muhammadu Buhari.

Le démarrage des cours "dans l'immédiat" figure parmi les revendications prioritaires des Vengeurs du delta du Niger, un nouveau groupe rebelle qui a revendiqué une série d'attaques contre des infrastructures pétrolières ces dernières semaines.

"L'ancien président a lancé cette université mais la nouvelle administration a décidé de mettre l'école en stand-by", a expliqué à l'AFP Antoni Ayebibode, chef du village de Kurutie.

"C'est le problème du Nigeria: quand une autre administration arrive, le travail entrepris par la précédente est saboté", déplore-t-il.

Robin des bois

Sur le campus de l'école de plongée, doté de logements pour étudiants et d'un bassin de plongée de 12 mètres de profondeur, les cours pourraient commencer dès demain, assure M. Ayebibode.

"On attend juste le gouvernement", dit-il en parcourant les salles de classes équipées de tableaux blancs, de pupitres et de climatiseurs. "Tout est prêt".

Mais le sujet a encore fait polémique dans l'hémicycle cette semaine: le ministre des Transports, Chibuike Amaechi, soutient que l'université a coûté trop cher, alors que le sous-secrétaire d'Etat aux ressources pétrolières, Emmanuel Kachikwu, estime de son côté qu'il ne faut pas "jeter le bébé avec l'eau du bain".

Si cette université fait autant parler d'elle, c'est parce qu'elle est liée à l'ex-chef rebelle Government Ekpemupolo, connu sous le nom de "Tompolo".

Il y a dix ans, Tompolo était un des dirigeants du Mouvement pour l'émancipation du delta du Niger (MEND), un groupe rebelle qui a revendiqué des attaques très violentes contre l'industrie pétrolière.

Une amnistie a été signée en 2009 avec le gouvernement, à l'issue de laquelle Tompolo est devenu un consultant en sécurité, protégeant les oléoducs qu'il avait attaqué dans le passé.

A travers la fondation Tompolo, l'ancien rebelle s'est forgé une image de Robin des bois du delta du Niger.

L'école de plongée était son idée. Comme l'hôpital d'Okerenkoko, fréquenté par la population de tout le royaume Gbaramatu, qui s'étend du terminal Escravos - du géant pétrolier américain Chevron - sur la côte Atlantique, à Warri.

"La charité commence devant sa porte. Et il a commencé chez lui", affirme Agagha Clarkson, l'administrateur des projets médicaux de Tompolo.

"Même des soldats nigérians" se sont fait soigner dans cet hôpital, insiste-t-il.

En 2014, le gouvernement nigérian a racheté l'école de plongée de Tompolo pour y abriter l'université maritime de façon temporaire.

Mais en décembre 2015, Tompolo a été inculpé pour blanchiment d'argent en lien avec cette école. En fuite depuis des mois, il fait l'objet d'un mandat d'arrêt.

Tous ses biens ont été gelés. L'hôpital a été fermé et l'université a été mise en stand-by.

"Il y a trop de souffrances"

La région était déjà hostile à M. Buhari avant que Tompolo ne soit recherché. Dans le sud, majoritairement chrétien, on avait prévenu que les violences pourraient reprendre si M. Buhari, un musulman du nord, remportait la présidentielle l'année dernière, contre M. Jonathan, un des "leurs".

A Okerenkoko, "si quelqu'un tombe malade il faut se dépêcher d'aller jusqu'à Warri", se plaint Evangelist Maware. Et la plupart des gens n'ont pas les quelque 30.000 nairas (130 euros) qui donnent accès aux urgences, souligne-t-il.

"On paie pour un bateau à moteur... Et la personne meurt. Il y a trop de souffrances", s'indigne ce pêcheur de 40 ans.

Dans sa quête de Tompolo, l'armée nigériane a assiégé plusieurs villes de la région, dont les populations ont été chassées.

Le diplôme universitaire, un rêve encore à portée de main il y a quelques mois, n'a jamais paru aussi inaccessible aux habitants de la région.

"A cause de l'invasion de l'armée, nos écoles primaires et secondaires ont été fermées", s'indigne Godspower Gbenekama, chef d'Okerenkoko. "Ce gouvernement considère que le royaume Gbaramatu n'a pas le droit à l'école", lâche-t-il finalement.

Avec AFP

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